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Le monde
Journalistes et lanceurs d’alerte sont-ils menacés par la directive sur le secret des affaires ?
Article mis en ligne le 18 juin 2015

Les journalistes hésitent généralement à signer des pétitions, de crainte d’abdiquer la neutralité qui constitue pour beaucoup d’entre eux l’un des principes fondamentaux de leur profession. Dérogeant à cette règle, plusieurs grands noms du journalisme d’investigation se sont engagés début juin derrière une pétition d’Elise Lucet dénonçant un projet de directive européenne menaçant selon eux « le travail d’enquête des journalistes et, par ricochet, l’information éclairée du citoyen ».

Le collectif « Informer n’est pas un délit », emmené par la journaliste de France 2, rédactrice en chef du magazine Cash Investigation, avait réuni plus de 310 000 signatures mardi 16 juin, alors que la commission juridique du Parlement européen donnait son feu vert à la directive sur le secret des affaires.
De quoi s’agit-il ?

La pétition dénonce le projet de directive « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », proposé en novembre 2013 par la Commission européenne. Il vise à créer une définition européenne du « secret des affaires » en harmonisant les différentes lois nationales, afin de mieux protéger les entreprises contre la divulgation de leurs « secrets économiques », dans l’optique d’améliorer leur compétitivité.

Le secret des affaires est une notion juridique à la définition complexe, qui peut servir de fondement pour qu’une entreprise puisse attaquer un journaliste qui ferait des révélations, au motif que celles-ci constituent un préjudice pour l’activité de l’entreprise en question. (...)

Et le collectif de citer l’affaire LuxLeaks (optimisation fiscale de multinationales au Luxembourg), les « pesticides de Monsanto » ou « le scandale du vaccin Gardasil », qui n’auraient selon lui jamais pu être rendus publics sous le régime de la nouvelle directive. (...)

« Cela va créer un renversement de la charge de la preuve pour les journalistes, qui devront prouver que la diffusion de l’information était légitime, poursuit Véronique Marquet, membre et avocate du collectif « Informer n’est pas un délit ». Cela revient à leur demander s’ils sont prêts à assumer le risque d’être condamnés, ce qui constitue une vraie arme de dissuasion à disposition des entreprises. »

En outre, le projet de directive ne fait à aucun moment référence à la protection des sources, principe central dans le libre exercice de la profession de journaliste, qui aurait pu constituer une garantie supplémentaire contre les poursuites. (...)

En janvier 2015, lors de la discussion à l’Assemblée du projet de loi Macron, le rapporteur du projet de loi Richard Ferrand estime « indispensable » d’introduire des dispositions concernant le « secret des affaires », anticipant la directive de la Commission européenne. L’idée est de protéger les entreprises françaises contre l’espionnage économique en créant la notion juridique de « secret des affaires et protection civile ». Divulguer des secrets d’affaires exposerait à des sanctions pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, voire, en cas d’atteinte « à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France », sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.

L’amendement provoque la colère de nombre de rédactions, agences de presse et ONG. Une pétition, signée notamment par l’eurodéputée écologiste Eva Joly, demande la modification de l’amendement, au nom de la démocratie, « pour qu’il ne puisse être opposé à la liberté d’informer de la presse ou museler les lanceurs d’alertes ». Car il ne prévoit pas de protéger les lanceurs d’alerte, sauf dans les cas où les informations divulguées concernent la santé et l’environnement.

Fin janvier, François Hollande cède finalement aux revendications des journalistes et décide d’abandonner la législation sur le secret des affaires. Mais si la directive européenne était adoptée, des dispositions similaires devraient être adoptées en France sous 24 mois.