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L’Inde face à « un million de mutineries » contre les inégalités et les discriminations sociales
Article mis en ligne le 6 mars 2016
dernière modification le 2 mars 2016

L’Inde va-t-elle connaître un printemps de révoltes sociales ? Le suicide d’un militant étudiant de gauche, discriminé du fait de son appartenance à la caste des « intouchables », les dalits, a joué un rôle de catalyseur dans l’actuel mouvement de révolte qui agite des campus indiens, enflammés par les injustices, les discriminations sociales et les déclarations liberticides du gouvernement. Discriminations à l’encontre des femmes, gestion catastrophique de la politique des « quotas » et des inégalités de castes, catastrophes écologiques liées au développement industriel… L’Inde affronte ses démons.

Malmené par les autorités universitaires, pointé du doigt pour son activisme politique – ainsi que quatre autres étudiants dalits – Rohith Vemula, par son acte tragique, a laissé un message « poignant » pour la jeunesse, selon les termes du professeur et député Sugata Bose lors de son intervention au Lok Sabha – la Chambre basse du Parlement indien –, le 24 février 2016. Au même moment, plusieurs centaines de personnes, dont la mère de Rohith Vemula, se préparaient pour une marche silencieuse et une veillée aux abords du monument India Gate (New Delhi), encadrés par les policiers.
« Nous avons le droit d’être dissidents »

Depuis fin janvier, partis politiques, syndicats étudiants, activistes de divers bords réclament un « Rohith Act » – dont le contenu ne semble pas encore bien défini – pour mettre fin aux injustices de castes au sein du système scolaire. Ce mardi 23 février se mêlaient aussi à l’hommage des slogans pour faire entendre la voix estudiantine, réprimée depuis deux semaines par les autorités dans une escalade de tensions de moins en moins contrôlable (...)

Dans un même souffle, sous l’œil vigilant des caméras et des cordons policiers, à Jantar Mantar, ce sont ces répressions et ces injustices à l’encontre des voix « dissidentes » qui sont mises en cause par les jeunes indiens. (...)

À Delhi, cette semaine, quatre autres étudiants – décrétés « éléments antinationaux » –, militants proches du leader syndical Kumar, ont eux aussi été arrêtés pour « sédition », un terme juridique archaïque hérité de la période coloniale. Ils sont actuellement interrogés par la police. (...)

« Personne ne réalise à quel point assumer et proclamer son identité de dalit, d’intouchable, aux yeux de la société, est un combat, une lutte contre soi-même », assène Yashica Dutt. Cette journaliste de 29 ans, étudiante à l’université de Columbia (New York), a créé un blog, Documents of Dalit Discrimination, afin de recueillir les témoignages d’autres dalits pour les aider, comme elle, à faire ce qu’elle appelle son « coming-out ». Yashica a choisi de mêler sa voix à celles de nombreux autres intellectuels, en Inde comme à Londres, New York ou Berlin, pour protester contre le « castéisme » qui continue de sévir au sein du système éducatif indien. « Le suicide de Rohith a été particulièrement violent pour la société car c’était un intellectuel, un intouchable qui savait écrire et qui revendiquait ses droits », souligne Yashica Dutt. (...)

Un comité composé d’étudiants, d’activistes et de syndicats a formé le Joint for Action Comittee for Social Justice. Il demande la démission de la ministre indienne des Ressources humaines, responsable de l’Éducation nationale, ainsi que celle du vice-président de l’université d’Hyderabad, Appa Rao, accusé, en particulier, d’avoir harcelé le doctorant Rohith Vemula. Refus de promotion et de bourses, moqueries, harcèlement moral ou sexuel, remise en question de la qualité du travail universitaire, sont des drames fréquents dans la vie des étudiants intouchables. Et, ce, au plus haut niveau de l’enseignement supérieur, y compris au sein des très prestigieux Indian Institutes of Technology (IIT, équivalent des écoles normales supérieures en France). (...)

Si la Constitution indienne protège et promeut, en théorie, les catégories dites de Schedules Castes et Other Backward Castes (en français « castes répertoriées et autres castes arriérées », ndlr [2]) à l’aide de quotas, le système est régulièrement remis en cause et dénigré. « On parle des étudiants-quotas comme d’une maladie. Beaucoup d’étudiants qui ont droit à ces quotas préfèrent cacher leur identité et ne pas y recourir, ou alors en étant le plus discret possible », raconte Yashica Dutt. « Les tentatives d’affirmation des basses castes sont vues d’un mauvais œil par les groupes dominants, dont l’hégémonie se trouve ainsi contestée. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les discriminations au sein des universités, où se forment les futures élites dalits et les leaders de mouvements anti-castes. » (...)