
« Le bateau universitaire “coule”, celles et ceux qui savent nager quittent le navire, rayonnent ailleurs et autrement, rien n’est pire qu’une perte de signification. Personnellement, je ne crois plus en l’Université française, je n’ai plus “confiance” : je ne sais pas ce qu’elle veut, ni où elle va. » Voilà le genre de mails qui arrivent en ce moment dans les boîtes aux lettres des journalistes de Mediapart en charge des questions de recherche et d’université.
Signe du malaise, l’université de Strasbourg, pointe avancée de l’application des réformes issues de la loi Pécresse, a même mis en place une ligne d’écoute pour répondre à la multiplication des cas de souffrance au travail, chez les personnels administratifs, techniques mais aussi chez les enseignants.
cette dépression est aussi, voire surtout, le résultat d’une mutation silencieuse, et souvent insidieuse, de l’université, qui déstabilise autant les étudiants que les enseignants-chercheurs, et que la succession des réformes et le maquis des sigles (LRU, LMD, PRES, Idex…) masquent plus qu’il n’expliquent. Une mutation entre non-dits, faux-semblants et « injonctions contradictoires qui font le lot quotidien du vécu académique », comme l’écrit le chercheur Arnaud Mercier dans son article « Dérive de l’université, péril des universitaires ».
– « Réussite des élèves » versus échec programmé
Comment ne pas voir l’ironie ? On n’a jamais autant parlé de « réussite des étudiants ». Les résultats en licence n’ont jamais été aussi mauvais.(..’)
Entendre une fois de plus la ritournelle de la « réussite » hérisse donc tous ceux qui rappellent l’hypocrisie de pouvoirs publics encourageant les filières concurrentes à l’université et feignant de s’étonner des taux d’échec en licence. Il n’y a ainsi jamais eu autant de classes préparatoires ouvertes ces dernières années, moins pour préparer un concours que pour éviter le premier cycle universitaire. Mais fermer les yeux sur le fait qu’une bonne partie des étudiants de licence n’ont aucune chance de « réussir » dans une université sous-dotée, permet aussi de masquer le chômage des jeunes… (...)
L’université, service public d’enseignement supérieur, ne sélectionne pas. Officiellement. Tout le monde sait en réalité que les processus de sélection sont à l’œuvre depuis longtemps et ne cessent de se renforcer. Il suffit de ne pas le dire. Car l’université, censée accueillir tous les bacheliers a organisé en son sein des filières qui lui permettent de se débrouiller avec ces injonctions contradictoires « d’excellence » et de non-sélection.
Il s’y est donc développé un système à plusieurs vitesses dans un environnement devenu hyper complexe et où, une fois de plus, seuls sont qui ont les clés pour le décrypter s’en sortent. (...)
Dans un autre registre, la création des diplômes universitaires, non reconnus comme des diplômes d’Etat, permet aussi aux facs de sélectionner les étudiants, mais également de fixer des droits d’entrée comme bon leur semble. (...)
Ce n’est pas le moindre des paradoxes. Dans les universités autonomes, le sentiment de perte de contrôle des acteurs n’a sans doute jamais été aussi fort. Dans cet univers de faux semblants qu’est l’université, la fable de l’autonomie est sans doute la plus mal supportée . Malgré la fronde de 2009, beaucoup avaient, quand même, cru que l’autonomie de leur établissement apporterait plus de souplesse dans le fonctionnement, voire permettrait la prise d’initiatives. C’est peu dire qu’aujourd’hui ils se sentent floués. (...)
les « communautés universitaires » prévues par la nouvelle loi risquent également de renforcer une répartition territoriale à double vitesse. Quelques grands pôles concentrant les moyens de la recherche via l’ANR (Agence nationale de la recherche) et les meilleurs étudiants cohabiteraient alors avec des petites antennes universitaires, spécialisées dans les premiers cycles et certains cursus, d’où la recherche serait quasiment absente. (...)