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LUTTE DES CLASSES ET GUERRE DES MOTS
Ce texte est extrait du recueil Les mots sont importants – 2000 /2010, aux éditions Libertalia.
Article mis en ligne le 21 avril 2016

Après plus de dix ans de travail critique au sein du collectif, les mots sont importants ; si l’on doit caractériser à grands traits la langue des maîtres, on peut dire qu’elle repose sur une logique binaire au fond très ancienne, déjà à l’œuvre dans la novlangue totalitaire ou coloniale décrite par Orwell : euphémisation de la violence des dominants (État, patronat, pression sociale masculiniste, hétérosexiste et blanco-centriste), et hyperbolisation de la violence des dominés…

Ce double mouvement d’euphémisation/hyperbolisation structure l’essentiel du commentaire politique, mais déteint aussi largement sur la parole prétendument factuelle des journalistes d’information.

L’euphémisation consiste, étymologiquement, à positiver du négatif. Dans le discours politique, elle consiste essentiellement à occulter, minimiser et relativiser une violence, et ainsi la rendre acceptable :

 l’armée américaine ou israélienne bombarde par exemple toute une population : c’est, nous disent les États-majors et la plupart des éditorialistes, mais aussi bien souvent les journalistes d’information, une simple « incursion », ou une « frappe » ;

 un policier abat un jeune homme en fuite d’une balle dans le dos : c’est une simple « bavure » et non un homicide ;

 la police cogne sur des manifestants : ce n’est qu’une « intervention musclée » ;

 des contrôles au faciès sont organisés à grande échelle sur l’ensemble du territoire, suivis de rafles, d’enfermement dans des camps et d’expulsions forcées : il ne s’agit que de « maîtrise des flux migratoires », d’ « interpellations », de « placements en rétention » et de « reconduites à la frontière », voire de « rapatriements » ;

 une entreprise organise un licenciement collectif : c’est un « plan social » (terme le plus fréquent) ou mieux encore (mais le terme n’a pas encore été pleinement adopté par les journalistes) un « plan de sauvegarde de l’emploi » ;

 le droit du travail, la protection sociale et les services publics sont démantelés : on ne parle que de « réforme », de « modernisation » ou d’ « assouplissement » ;

 le propos raciste tenu par un ministre de l’Intérieur (Brice Hortefeux) dans un lieu public (l’Université d’été de l’UMP) est requalifié en « boulette » (M6), « bourde » ou propos « lourdaud » (Libération), « maladresse » ou « dérapage » (Le Monde), autant de termes soulignant finalement son insignifiance ; (...)

le contexte général de précarité sociale et de discriminations, comme la violence policière qui les déclenche, passe systématiquement au second plan, l’injustice sociale est euphémisée sous le nom de « malaise » ou de « mal-être », la responsabilité des classes dirigeantes est du même coup dissipée, les quartiers populaires sont rebaptisés « quartiers sensibles » ou « zones de non-droit » – et les révoltes deviennent du même coup de pures et simples « violences urbaines », dès lors justiciables d’un traitement strictement policier et non socio-politique.

Plus généralement, que l’oppression soit strictement économique ou à dimension raciste ou hétérosexiste, toute énonciation du tort subi par l’opprimé s’expose à la pathologisation, sous le nom commode de« victimisation » – avec cet effet paradoxal : c’est au moment même où, cessant d’être de pures victimes, passives et muettes, les intéressés deviennent acteurs et actrices, en prenant la parole et en nomment le tort subi, qu’ils et elles se voient reprocher de se réduire et de se complaire dans un statut de victime

Du travail sur ces différents combats linguistiques s’est dégagé un autre constat important, qui nous distingue de certaines formes de critique des médias, celle par exemple d’ « Arrêt sur images », à nos yeux superficiels ou dépolitisées. Ce constat est le suivant : les médias que nous critiquons sont les médias dominants, et de ce fait, leur langue spontanée n’est au fond pas la leur. La langue première des médias dominants n’est pas la langue des médias mais la langue des dominants  : c’est la langue du MEDEF, la langue des préfectures de police ou du ministère de l’Intérieur, la langue de Tsahal ou du Pentagone… C’est dans ces lieux extra-médiatiques que sont inventés les « réformes » et les « modernisations », les « plans sociaux » et les « plans de sauvegarde de l’emploi », les « clandestins » et les « reconduites à la frontière », les « violences urbaines » et les « interventions musclées », les « bavures » et leurs victimes « bien connues des services de police », le « terrorisme » et la « guerre au terrorisme », les incursions, les frappes et autres opérations de défense du territoire… (...)