Assange ne bénéficierait jamais d’un procès équitable aux États-Unis, mais il n’en bénéficie pas non plus en Grande-Bretagne.
Pendant les 17 jours de l’audience d’extradition de Julian Assange à Londres, les procureurs ont réussi à prouver à la fois les crimes et la conspiration. Le coupable, cependant, n’était pas Assange. Au lieu de cela, les contrevenants et les conspirateurs se sont avérés être les gouvernements britannique et américain. Les uns après les autres, les témoins ont décrit en détail les mesures illégales prises pour violer le droit d’Assange à un procès équitable, détruire sa santé, salir le personnage et l’emprisonner à l’isolement pour le reste de sa vie. Les preuves présentées en salle d’audience ont révélé l’illégalité à une échelle sans précédent des services de renseignement, de l’armée, de la police et de la justice des États-Unis et de la Grande-Bretagne pour éliminer Assange. Les gouvernements avaient l’avantage, comme l’homme blanc dont Malcolm X a écrit : "C’est un joueur professionnel ; il a toutes les cartes et les chances de son côté, et il a toujours distribué à notre peuple les cartes du fond du paquet". (...)
Le jeu de cartes était clairement truqué. Les antagonistes d’Assange marquaient les cartes dès février 2008, lorsque le centre de contre-espionnage de l’armée américaine a entrepris, selon ses propres termes, "d’endommager ou de détruire ce centre de gravité" qu’était WikiLeaks.
Pour les gouvernements, le public devait être tenu à l’écart de ce qu’ils faisaient derrière des portes closes et dans le ciel de l’Afghanistan et de l’Irak. Pour colmater les fuites, les gouvernements devaient arrêter Assange. Le Pentagone, la CIA, l’Agence de sécurité nationale et le Département d’État ont rapidement suivi l’exemple du Centre de contre-espionnage en créant leurs propres groupes de travail anti-Assange et en faisant appel à l’aide de la Grande-Bretagne, de la Suède et de l’Équateur.
Deux jours après une de mes rencontres avec Assange à l’ambassade, des cambrioleurs ont pénétré par effraction dans un bureau que je partageais avec deux designers à Londres. Le seul objet manquant était mon ordinateur, les voleurs ayant laissé les ordinateurs de mes collègues de bureau intacts. Il est impossible de prouver qui l’a fait, mais il n’est pas impossible de le deviner.
Les mesures extrêmes prises contre Assange ont atteint leur bassesse historique lorsque Lenín Boltaire Moreno Garcés a remplacé le pro-Assange Rafael Correa à la présidence de l’Equateur le 24 mai 2017. (...)
Des experts juridiques ont témoigné qu’Assange ne bénéficierait pas d’un procès équitable aux États-Unis, mais à la Cour pénale centrale de Londres, il devenait évident qu’il n’en bénéficierait pas non plus en Grande-Bretagne. Le premier magistrat affecté à son dossier, Emma Arbuthnot, en 2017, s’est avéré avoir un mari et un fils ayant des liens avec des personnes citées pour activités criminelles dans des documents publiés par WikiLeaks. Lorsque les liens supplémentaires de sa famille avec les services de renseignement et les industries de la défense ont été rendus publics, elle s’est retirée de l’affaire pour ce qu’elle a déclaré au magazine Private Eye être une "perception de partialité". Elle ne s’est pas formellement récusée et n’a pas déclaré de conflit d’intérêt. En tant que premier magistrat de Westminster, elle supervise néanmoins la conduite des magistrats de rang inférieur. L’une d’entre elles est Vanessa Baraitser, qui a présidé l’audience d’Assange. Les documents découverts par le site web Declassified montrent que sur ses 24 précédentes audiences d’extradition, elle a ordonné l’extradition de 23 personnes. Ce n’est pas un mauvais bilan du point de vue de l’accusation, mais les cours d’appel ont par la suite annulé son verdict dans six des 23 cas. (...)
Un témoignage démontrant les handicaps juridiques d’Assange et sa santé défaillante devrait suffire à empêcher son extradition. Lorsque la police a retiré Assange de l’ambassade équatorienne et l’a incarcéré à Belmarsh en avril 2019, elle ne lui a permis d’emporter aucun de ses biens. Il s’agissait non seulement de ses vêtements, mais aussi de ses lunettes de lecture, qui lui ont été refusées pendant plusieurs semaines. Les autorités américaines ont saisi tous ses papiers légaux et autres possessions à l’ambassade sans mandat ni la présence des représentants légaux d’Assange.
La santé mentale d’Assange s’est détériorée pendant son incarcération à Belmarsh. De nombreux psychiatres ont attesté qu’il est au bord du suicide. (...)
Sa dépression s’est aggravée pendant plusieurs mois d’isolement dans l’aile médicale de la prison, d’où il a été libéré après que d’autres prisonniers aient protesté contre les mauvais traitements. (...)
La pratique normale ne s’est pas appliquée à M. Assange, qui a reçu un traitement particulier à chaque étape de son incarcération. (...)
Les avocats de l’accusation et de la défense ont un mois pour soumettre par écrit leurs conclusions finales à la magistrate Baraitser, qui rendra son verdict le 4 janvier. Un tribunal impartial n’aurait pas d’autre choix que de disculper Assange - mais l’équité n’a jusqu’à présent pas été mise en avant dans les procédures avec les dix ans d’avance de l’accusation sur la défense ; l’incapacité de l’avocat d’Assange, Jennifer Robinson, à s’entretenir avec lui pendant six mois ; et la possession par l’accusation de ses documents confidentiels entre avocat et client et des transcriptions de ses conversations avec ses avocats en violation flagrante de la loi.
Les mauvais traitements infligés à Assange, révélés à la Cour pénale centrale de Londres, ne prendront pas fin s’il est extradé. L’extradition intensifiera sa "punition cruelle et inhabituelle". L’interdiction de ces châtiments figure à la fois dans le huitième amendement de la Constitution américaine et dans son prédécesseur, la clause dix de la Déclaration des droits [Bill of Rights] de l’Angleterre de 1689. Cette protection fondamentale s’applique à tous en Grande-Bretagne et aux États-Unis depuis des siècles. Une fois de plus, cependant, ils peuvent faire une exception pour Assange.
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De ses premières années passées au large de Townsville, sur Magnetic Island, qui abrite une joyeuse communauté de hippies, Julian racontera « une jeunesse à la Tom Sawyer ». Comme le héros de Mark Twain, il passe ses journées dans la nature, à construire des cabanes et des radeaux. Julian Assange raconte que c’est durant cette enfance pleine de liberté qu’il a acquis « la certitude que les règles étaient là pour être brisées ».
Quand la famille s’installe dans la ville de Lismore, à 200 km au sud de Brisbane, Julian a déjà vécu une trentaine de déménagements aux quatre coins du continent et fréquenté autant d’écoles. Même s’il est fort en maths et passionné de philosophie, « l’école a toujours été un problème » avouera-t-il dans sa biographie.
En face de leur modeste maison brille la vitrine d’un magasin d’électronique dans lequel sa mère lui achète son premier ordinateur (...)
Pour ces pionniers de l’informatique grandis dans l’esprit libertaire des années 1970, le hacking est naturellement anarchiste. Et pour ces cyberpunks, comme ils se définissent, un moyen de remettre en cause l’autorité. Tandis que se développe la sécurité du réseau et que se durcissent les lois punissant les pirates, Julian Assange acquiert une conviction qui est aujourd’hui encore au cœur de son combat : le développement d’internet crée une asymétrie d’information entre les pouvoirs publics, économiques, militaires et les simples citoyens. Et cette différence profite aux Etats au détriment des libertés individuelles.
Pour les défendre, Julian Assange s’intéresse tout particulièrement à la cryptographie, pour laquelle il invente en 1997 un outil qu’il appelle Rubberhose. (...)