
Être au RSA, c’est constater que le sort de sa vie est remis entre les mains de gens extérieurs à soi. Des gens qui ne vous connaissent ni d’Eve ni d’Adam, qui ont très probablement des préjugés de classe, qui acceptent de travailler pour un organisme dont il est assez évident aujourd’hui qu’il sert plus à culpabiliser les gens, les menacer qu’à les aider ou au moins les écouter. Je n’exclus pas le fait qu’il reste des conseillers attentionnés et ouverts et que ce système répugne, je présume simplement qu’ils sont loin d’être la majorité.
Je dois faire une distinction entre être suivi par Pôle Emploi et le département : Quand on fait la demande de RSA, on choisit si notre sort va être remis entre les mains de Pôle Emploi ou du département, ce dernier cas est si vous estimez ne pas être en mesure de chercher un emploi. Dans ce cas, il va falloir argumenter, avoir de « bonnes raisons », en tout cas des raisons que le département jugera légitimes, ou non. (...)
C’est très violent de devoir parler à une personne inconnue de ses traumatismes et de ses difficultés sociales, à plus forte raison quand ils toujours brûlants, lors d’un rendez-vous qui vous a été imposé et qui va décider de si votre vie connaîtra un soulagement très précaire ou si l’on va vous pousser encore plus à bout (en vous forçant à aller à pôle-emploi).
Si votre souffrance et votre incapacité sont jugées légitimes, il faudra qu’elles soient confirmées à nouveau tous les 3 mois ou tous les 6 mois (peut-être tous les ans pour certains ?), dans de nouveaux entretiens. Le courrier postal vous informant du rendez-vous étant envoyé moins d’une semaine à l’avance, vous avez intérêt à ne pas quitter plus de quelques jours votre domicile, vous risquez sinon la radiation pour n’avoir pas été présent au rendez-vous.
Votre angoisse vis-à-vis de votre situation ne vous quitte donc jamais. Vous culpabilisez d’être dans cette situation, d’être dépendant d’autrui pour savoir si demain vous pourrez encore manger et avoir un toit. (...)
Venons-en maintenant au cas où vous êtes suivi par Pôle Emploi. J’ai une simple anecdote ,concernant un proche, à vous raconter pour que vous compreniez bien (...)
La première partie du rendez-vous se déroule comme suit : une dizaine de personnes au RSA divisée en petits groupes, avec un conseiller par groupe affirmant « nous sommes là pour vous aider », et du personnel divers de pôle-emploi. Il ya plus de personnel de Pôle Emploi que de gens au RSA, il y a aussi le directeur.
Des questionnaires très infantilisants sont donnés (par exemple « qu’est ce que le marché de l’emploi ? »), il faut répondre ensuite en levant la main à ces questions, avec l’impression d’être traités comme des enfants de primaire.
Vers la fin, après 2 heures de réunion humiliante, l’agacement se fait sentir. Il y a ici réunis des gens qui ont pour la plupart travaillé toute leur vie, tenté de nombreuses choses, mais dont la conjoncture fait qu’ils sont trop vieux pour être embauchés, ou que leur situation est trop compliquée. Les gens se plaignent du fait qu’on leur change de conseiller très régulièrement, ce sans raison, qu’il n’y a donc pas de possibilité de créer du lien. Que Pôle Emploi ne fait rien pour aider réellement. Que les services sont injoignables. (...)
Ensuite, rendez-vous individuel. Le « nous sommes là pour vous aider » se transforme en « nous sommes là pour vous imposer un avenir que vous ne souhaitez pas et qui vous conduira au fond du trou ». Malgré l’explicitation de sa situation personnelle compliquée, la conseillère veut à tout prix lui refourguer une formation « pour définir un projet professionnel » 35h/semaine pendant 2 à 3 mois (cela diffère selon le lieu de formation). Celle qu’elle tente de lui imposer est située à deux lignes de bus de son domicile, au grand minimum deux heures de transport par jour, + attente car les horaires de bus ne sont jamais accommodants. Elle n’a pas l’air de s’en soucier, elle insiste.
Il lui répète qu’il a failli perdre la vie, et qu’avant de revenir à « la vie active » (sa vie étant pourtant loin d’être inactive), il souhaiterait pouvoir déménager. Il insiste sur le fait qu’il a failli perdre la vie. Et là, la conseillère lui dit « Oui, et bien moi, on m’a volé des affaires dans ma voiture deux fois en une semaine ».
Ce n’est pas une blague. (...)
Je peux vous dire que peu de personnes auraient eu la force ou les moyens de se battre contre cette conseillère. D’autres auraient cédé, les larmes aux yeux, la mort dans l’âme..
Je peux vous certifier que personne n’est au RSA en ayant une santé mentale d’acier. (...)
Quoique ce soit que vous tenterez pour améliorer votre situation (par exemple vendre votre téléphone/ordinateur…) doit être déclaré puis déduit de votre RSA. (...)
Et je ne parle pas des mères célibataires au RSA, des couples avec enfant. Je vous laisse utiliser votre imagination pour tenter de vous rendre compte.
Voilà la belle vie de ces feignants de gens RSA, qui passent très certainement leurs journées couchés au lit à regarder le plafond sans bouger le moindre de leur muscle.
Qui n’ont sûrement pas à cœur de s’informer, de donner de leurs moyens pour tenter de construire, reconstruire de belles choses, ou au moins de refuser ce chantage du travail aliénant qui alimente le système qui les traque.
« Nous devons rendre visibles les luttes invisibles, visibles et coordonnées dans l’action. Pour que les luttes deviennent la lutte, celle qui est tellement puissante qu’elle en devient irrésistible. » (Lordon) (...)