
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) émet de sérieuses réserves sur le projet de loi sur le renseignement, que Manuel Valls doit présenter, jeudi 19 mars, en conseil des ministres. (...)
Comme pour tous les textes liés à la question des données personnelles et à la vie privée, la CNIL a été saisie par le gouvernement. Selon un document de travail quasi-définitif que Le Monde a pu consulter, son avis traduit une forte inquiétude face à certaines dispositions clés du projet de loi. Si certains arbitrages sont encore incertains, le texte comporte des « mesures de surveillance beaucoup plus larges et intrusives » que ce qui existe actuellement, observe la CNIL.
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Le projet de loi – c’est une nouveauté – donne aux services de renseignement des outils jusqu’ici dévolus à la sphère judiciaire : la « sonorisation », c’est-à-dire la pose de micro, la surveillance informatique et la géolocalisation d’une personne ou d’un objet. Si la CNIL n’y voit pas matière à « une opposition de principe », elle note que certaines garanties prévues dans le champ judiciaire ont disparu. Elle regrette que certaines catégories de professions (avocats, médecins, journalistes…) ne soient en l’état actuel du texte pas protégées, que le type des données informatiques qui peuvent être collectées ne soit pas détaillé et que les outils de géolocalisation ne soient pas davantage encadrés. (...)
« Il ne s’agit plus seulement d’accéder aux données utiles concernant une personne identifiée, écrit la CNIL, mais de permettre de collecter de manière indifférenciée, un volume important de données qui peuvent être relatives à des personnes tout à fait étrangères à la mission de renseignement. »
Trois outils inquiètent particulièrement la commission. Le premier permet la captation de données informatiques (« la totalité des informations et documents », soit les métadonnées) en temps réel et directement sur les équipements des entreprises de télécommunication, afin de pouvoir mieux détecter des terroristes potentiels liés à des suspects déjà identifiés avec lesquels ils communiquent. La CNIL aimerait que soit « clarifié » le « périmètre » des données qui peuvent être collectées. Elle s’alarme plus particulièrement de la possibilité donnée aux services de ponctionner ces données directement auprès des opérateurs. « Les garanties prévues pour préserver les droits et libertés ne sont pas suffisantes pour justifier une telle ingérence », selon l’avis.
Le projet de loi officialise également la création d’un système de détection automatique d’activités de nature terroriste sur la base de données informatiques « anonymes ». La CNIL souligne que l’anonymat de ces données est tout relatif dans la mesure où il peut être levé « en cas de caractérisation de menace terroriste ». (...)
Enfin, la CNIL note que le projet de loi est muet en ce qui concerne les bases de données et les fichiers créés par le texte, ce qu’elle déplore, et propose qu’on lui confie une mission de contrôle sous condition des fichiers ainsi créés, « une garantie supplémentaire essentielle ».
La commission salue en revanche le fait que certaines activités des services de renseignement, « qui, pour certaines, échappaient à tout contrôle » soient désormais soumises à un « contrôle administratif et juridictionnel ». La CNIL souligne ainsi la création de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement, « dotée de pouvoirs de contrôle inédits ».