
Pour faire adopter son projet de loi visant à développer l’éolien et le solaire, le gouvernement a impérativement besoin du soutien des écologistes et de la gauche, qui comptent bien pousser leur avantage lors des deux semaines de débats qui débutent lundi dans l’hémicycle.
Une éclaircie dans un ciel d’orage. Alors qu’arrive, lundi 5 décembre, le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables en séance publique, la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), coalition parlementaire regroupant les groupes insoumis, communiste, socialiste et écologiste, se retrouve, pour la première fois depuis la réélection d’Emmanuel Macron, en position de force à l’Assemblée nationale.
« Le gouvernement n’a pas le choix, il est obligé de faire avec nous s’il veut que sa loi soit adoptée », observe le député écologiste d’Indre-et-Loire Charles Fournier. « Mais si nous ferons tout pour que cette loi soit votable, on ne la votera que si elle a sérieusement évolué », ajoute-t-il, bien décidé à faire monter les enchères lors des deux semaines que durera l’examen du texte dans l’hémicycle. (...)
Un avertissement à peine voilé à destination d’un gouvernement qui aborde, en ce début d’hiver, un texte très stratégique. En affichant sa volonté de booster l’éolien et le solaire, l’exécutif vise deux objectifs : montrer qu’il est aux commandes alors que point à l’horizon une crise énergétique sans précédent, et envoyer quelques cartes postales à un électorat sensible à la problématique du changement climatique.
Mais l’enjeu est aussi, et peut-être surtout, de montrer que la fameuse « méthode Borne » – à savoir trouver des majorités texte par texte, comme l’expliquait, à son arrivée à Matignon, la première ministre – n’est pas une vue de l’esprit.
Or, de ce côté, rien n’est gagné. Adopté à une très large majorité au Sénat il y a un mois jour pour jour, le projet de loi sur les énergies renouvelables est en effet loin de susciter l’adhésion du Palais-Bourbon. Avec, d’un côté, des députés Les Républicains (LR) allergiques à ce qu’ils nomment la « loi éoliennes », de l’autre, le Rassemblement national (RN), qui n’a jamais caché tout le mal qu’il pensait de ces « escroqueries écologiques [qui] défigurent nos paysages », voilà le gouvernement contraint de se tourner vers son flanc gauche pour espérer faire passer son texte. (...)
Opération séduction
En attendant, c’est une opération séduction de grande envergure qui a été menée, ces derniers mois, à destination de la Nupes : rencontre de tous les chefs de file de la coalition, organisation de déjeuners de travail ou de dîners à l’hôtel de Roquelaure (siège du ministère de l’écologie), intégration, sans coup férir, de plusieurs amendements venus de la gauche et des écologistes lors des discussions préparatoires en commission… La ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, n’a pas ménagé ses efforts pour dorloter l’opposition. « Elle a co-construit le texte en amont avec la gauche et les écologistes, et les échanges ont été très courtois », narre Pierre Cazeneuve.
Une fois n’est pas coutume, l’exécutif a aussi fait les yeux doux à La France insoumise (LFI), jusqu’alors « blacklistée », au même titre que le RN, par une majorité refusant, publiquement du moins, tout contact avec « les extrêmes » (sic). Il faut dire que l’attitude des mélenchonistes sera déterminante : sans au minimum une abstention du groupe, et quand bien même le Parti socialiste (PS) et les écologistes voteraient pour le projet de loi, la majorité peut dire adieu à ses ambitions. (...)
« On a eu de véritables discussions, on n’est pas habitués, ça fait tout drôle », ironisait, en fin de semaine, le socialiste Dominique Potier qui, à chaque étape de la discussion, a trouvé grande ouverte la porte du cabinet de la ministre. « On a eu la possibilité de confronter nos points de vue, les relations ont été moins désagréables que d’habitude », reconnaît elle aussi l’Insoumise Clémence Guetté, qui note toutefois qu’être écouté, ce n’est pas être entendu. Et encore moins suivi.
Points de blocage
Car, en dépit de la bonne volonté dont fait montre le gouvernement, le texte continue de susciter de fortes résistances au sein d’une gauche qui aborde les négociations avec beaucoup de prudence. Y compris chez le PS et EELV, les deux groupes les plus enclins à voter « pour », pas question de donner quelque blanc-seing que ce soit. (...)
À La France insoumise comme au Parti communiste français (PCF), on s’inquiète aussi de la philosophie générale d’un texte qui, derrière les discours consensuels sur la transition écologique, conduirait en réalité à déréguler plus encore le marché de l’énergie en offrant aux promoteurs privés le juteux pactole des renouvelables.
Une approche moins écologique que « business », corroborée par le choix de l’exécutif d’avoir privilégié, pour l’examen préalable du texte, la commission des affaires économiques, présidée par le très libéral Guillaume Kasbarian, à celle du développement durable.
À l’arrivée, pourtant, l’économie française pourrait ne pas être aussi bien servie qu’attendu. (...)
Parmi les autres points de blocage : l’article sur le « partage de la valeur », consistant à accorder des ristournes aux habitants des zones d’implantation des éoliennes comme un dédommagement pour le « préjudice » subi, qui rompt avec la tradition française de la péréquation tarifaire. Ou encore le développement à tout crin de l’agrivoltaïsme (la pose de panneaux solaires sur des surfaces agricoles), qui fait craindre une raréfaction des terres cultivables. (...)