
(...) D’après Challenges, la fortune de Bernard Arnault s’est, en 2015, accrue de 9,27 milliards d’euros. 9270 000 000. Ça fait tellement de zéros qu’on s’y perd. Pour s’y retrouver, il faut traduire. Son revenu annuel équivaut à 463 000 années de salaire, cotisations sociales comprises, d’une ouvrière de ECCE (l’entreprise qui fabriquait les costumes Kenzo à Poix-du-Nord). Mais 463 000, ça fait encore beaucoup de zéros. Il faut donc, à nouveau, pour rendre ça sensible, traduire.
Quand je me rendais à ECCE, j’emmenais avec moi une longue frise chronologique que je déroulais, au sol, dans le local syndical. Alors voyons. Est-ce que c’est comme si vous travailliez depuis la Deuxième Guerre mondiale ? Non. (On se décalait d’un pas.) Depuis la Révolution française ? Non. (Encore un pas.) Jeanne d’Arc ? Non. Vercingétorix ? Non. Les Égyptiens ? Non. 463 000 ans, en fait, ce sont les débuts de l’homo erectus. L’homme commence à se redresser. C’est l’âge du feu, aussi. Donc, il faut imaginer une couturière de ECCE qui, depuis les cavernes, coud des costumes Kenzo ! Pour égaler une année de salaire du PDG.
C’est à la fois drôle et indécent. Mais là où ça devient doublement drôle, et doublement indécent, c’est que : qui coûte trop cher ? Les ouvrières de ECCE, et pas Bernard Arnault ! Ce sont leurs emplois qui partent en Pologne puis en Bulgarie.
C’est à elles, c’est à nous tous, qu’il faut rogner les assurances chômage, les retraites, la Sécu, pour nous rendre plus compétitifs ! Et cet argument nous est asséné tous les jours, et sans le moindre humour, à longueur de journaux et de radios. Tous les matins, France Inter nous le répète avec Dominique Seux, salarié des Échos et de Bernard Arnault…
François Ruffin