
Par rapport aux autres continents, les élèves venus d’Afrique sont sous-représentés dans les établissements français, du fait de barrières culturelles mais aussi économiques.
A peine 10 % des étudiants en école d’art deviennent artistes, la majorité s’orientant vers des métiers créatifs tels que graphiste ou designer. L’inquiétude quant aux débouchés professionnels explique en partie le faible nombre d’étudiants africains en école d’art. En cette rentrée, Merveille Kelekele fait encore exception, tout comme Anges Lognon avant lui.
« On s’entend souvent dire que l’art, c’est un truc de Blanc, un luxe qu’on ne peut pas s’offrir, de l’ordre du plaisir ou de la détente », rebondit cette Ivoirienne de 28 ans, fraîchement diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), à Paris. Un cursus qu’elle a embrassé avec passion et acharnement. « On m’a dit : quitte à faire un métier “non essentiel”, autant être la meilleure ! », rigole-t-elle.
Passée par plusieurs établissements avant d’achever ses études à l’Ensad, Anges Lognon n’a rien oublié de l’angoisse des rentrées scolaires. « Je comptais à chaque fois le nombre de personnes noires et je me rapprochais d’elles, raconte-t-elle. Ce n’était pas du communautarisme, mais une façon de me rassurer dans un paysage majoritairement blanc. » Si elle salue une école qui « aide les élèves, sans distinction », elle a mal vécu sa première année à l’Ensad. « On ne se sent pas toujours à sa place », souffle-t-elle.
Hausse des frais de scolarité
D’un naturel optimiste, Merveille Kelekele préfère ignorer les petites remarques des uns, la sollicitude trop prononcée des autres, « qui veulent montrer qu’ils ne sont pas racistes ». Il entend bien la gronde de certains de ses camarades qui peinent à trouver leurs marques. Mais à ses yeux, « il y a une différence entre les élèves africains venant d’Afrique, comme moi, et ceux nés en Europe, qui sont plus sensibles, plus révoltés, qui s’imaginent avoir été choisis pour remplir une politique de quotas ».
Dans les deux grandes écoles parisiennes, on ne recense qu’une dizaine d’étudiants africains (...)
Les écoles nationales n’ont jamais changé leurs tarifs, fixés par le ministère de la culture, qui a choisi de ne pas trier les élèves selon leur nationalité. Les établissements municipaux, qui sont les plus nombreux, peuvent en revanche appliquer une tarification différenciée. « Si on pratique une distinction économique, les premiers pénalisés sont les étudiants africains », proteste Stéphane Sauzedde, qui, dans son école, refuse un système à deux vitesses. Et de regretter que « les écoles d’art gardent massivement l’image de lieux élitistes où se joue la reproduction culturelle et sociale ».
Des objets importés et inadaptés
Cet automne, la revue Afrikadaa, créée par l’artiste camerounaise Pascale Obolo, publiera justement un numéro spécial intitulé « Racisme, silence, mobilisation : où en sont les écoles d’art ? ». Y seront recensées les expériences et les doutes des étudiants noirs en France, mais aussi les pratiques qui, « geste par geste, forme après forme », contribuent à changer la donne.
Emmanuel Tibloux est de ceux qui, par petites touches, font bouger les lignes. Le patron de l’Ensad a récemment créé un poste d’études postcoloniales et décoloniales au sein du collège « Histoire, théorie, critique ». Pour élargir le spectre social et géographique des étudiants, il a développé l’an dernier avec les Ateliers Médicis, à Clichy-Montfermeil, une école d’un genre nouveau, La Renverse, destinée aux jeunes de Seine-Saint-Denis. Sur quinze élèves inscrits en 2021, douze étaient d’origine africaine, pour moitié du Maghreb. « On a beaucoup à apprendre des étudiants africains, insiste Emmanuel Tibloux. Ils apportent à notre école une logique de pensée qui n’est pas basée sur l’innovation, mais sur l’artisanat et la réparation. » (...)