
La semaine dernière, vous avez acheté un billet d’avion pour Montréal. Après avoir consulté le tarif sur le site de la compagnie aérienne, vous avez navigué sur Internet à la recherche d’une meilleure offre, pour finalement revenir au site original. A votre grand étonnement, le tarif avait grimpé. Vous vous êtes empressé de réserver votre billet avant que son prix n’augmente davantage.
Vous vous êtes fait avoir.
Le site a sans doute profité de votre première visite pour retenir l’adresse IP (1) de votre ordinateur ou, mieux encore, pour insérer un cookie (2) dans votre navigateur. Il a ainsi pu vous suivre à la trace sur le Web, et vous identifier comme un client à fort potentiel : de toute évidence, vous aviez très envie de voyager. Lorsque vous êtes revenu voir le billet convoité, il vous a reconnu et n’a eu qu’à augmenter le prix pour vous convaincre de conclure la transaction.
Habitué d’Amazon, ou du site de la Fnac, vous vous y sentez comme un enfant dans un magasin de jouets. En mieux : les titres recommandés semblent devancer vos attentes. Un marchand qui connaît vos goûts mieux que vos amis ? Difficile de résister. Ce mécanisme, appelé « filtrage collaboratif », n’est pourtant pas nouveau. (...)
Bienvenue dans le nouveau monde du marketing personnalisé. Un monde qui veut votre bien… et qui fera tout pour l’obtenir. Au début des années 1980, décliner, à coups de sondages auprès des consommateurs, ses stratégies en fonction des « segments » visés — ménagères de plus de 50 ans, professions libérales de moins de 35 ans ayant des revenus supérieurs à 210 000 francs et jouant au tennis au moins deux fois par mois, etc. — était le fin du fin. Les spécialistes du secteur pêchaient en quelque sorte au filet dérivant, après que leur sonar avait signalé un banc de poissons de la bonne espèce. Aujourd’hui, ce ne sont plus les jeunes de moins de 35 ans ou tout autre segment qui les intéressent : c’est vous. Plus de filet, plus de sonar : la pêche se fait dans une baignoire.
Pour cela, les experts bénéficient de la coopération quotidienne — mais le plus souvent inconsciente — de leurs clients. Les utilisateurs de Facebook, par exemple (plus d’un milliard), livrent gracieusement une mine d’informations que tout individu raisonnable aurait refusé de fournir à un marchand il y a encore quelques années : profil sociodémographique (âge, sexe, éducation, ville de résidence) et, souvent, goûts musicaux, liste d’amis, photographies, projets, rêves et aspirations.
A ces renseignements se greffent le profil de navigation en temps réel de l’internaute et ce qu’on appelle son profil comportemental (...)
Presque tous les sites Internet vous imposent un cookie qui vous reconnaît lorsque vous revenez. C’est à cause de lui que le prix de votre billet pour Montréal a bondi lors de votre seconde visite. La plupart des applications téléchargées gratuitement vous assignent en outre un autre mouchard, beaucoup plus intrusif, appelé spyware. Celui-ci surveille vos activités (pages consultées, temps passé par page, produits achetés, etc.) afin de relayer ces informations aux experts du marketing. Lesquels, évidemment, s’en serviront pour mieux cibler leurs offres.
La dernière fois que vous avez téléchargé une application sur votre ordinateur ou votre smartphone, avez-vous pris le temps de lire l’avis légal qui l’accompagnait ? Si tel est le cas, félicitations : vous faites partie des 3 % de consommateurs qui s’en donnent la peine. Dans le cas contraire, vous consentez régulièrement à être épié et à ce que vos données personnelles circulent d’entreprise en entreprise. Telle est en effet la contrepartie du clic sur le bouton « J’accepte » afin de télécharger au plus vite une application sans lire le contrat qui précède. Discutable, le procédé n’en demeure pas moins légal. (...)
il est certain qu’une entreprise comme Google, qui est avant tout un géant de la publicité, est consciente du potentiel de sa technologie. Mettre en relation la publicité vue et les achats qui en découlent, qu’ils soient effectués en magasin ou dans le cyberespace, simplifie la vie du consommateur tout en augmentant les probabilités qu’il passe à la caisse.