
Chaque midi à Rome, la rue arborée du centre culturel Baobab - géré par la diaspora érythréenne locale - s’anime, tandis que des migrants attendent à la file d’y recevoir une assiette de nourriture.
On ne peut manquer d’être frappé par l’aspect juvénile de leurs visages. Bien que la plupart aient fui l’Érythrée pour échapper à son service militaire à durée illimitée, aucun n’admettra avoir moins de 18 ans. Ils craignent d’être placés dans un centre pour enfants migrants non accompagnés, ce qui ruinerait leurs espoirs d’atteindre le nord de l’Europe.
En vertu du règlement européen de Dublin, les migrants dont les empreintes digitales ont été relevées en Italie sont tenus d’y rester en attendant que leur demande d’asile soit traitée, ou courent le risque d’y être renvoyés. Les pays du nord de l’Europe peuvent pourtant être synonymes de meilleures opportunités d’emploi et de plus grandes chances d’obtenir l’asile, voire le regroupement familial. (...)
Il est difficile d’évaluer le nombre exact d’enfants arrivant en Italie sans parent ou tuteur car la plupart évitent de demander de l’aide ou mentent à propos de leur âge, mais les chiffres officiels sont déjà suffisamment inquiétants.
Entre le début de cette année et le 20 juillet, 7 439 enfants non accompagnés ont été enregistrés sur un total de 80 706 migrants ayant atteint les rives italiennes, d’après Save the Children. En 2014, 13 030 mineurs non accompagnés sont arrivés en Italie, soit près de trois fois plus que l’année précédente.
Si le gros des enfants voyageant seuls sont originaires d’Érythrée, de très nombreuses autres nationalités sont représentées - notamment des Afghans et des Gambiens. Ewa Moncure, la porte-parole de l’agence de surveillance des frontières Frontex, a dit qu’il était également habituel que des enfants égyptiens voyagent seuls jusqu’en Italie.
« Les Égyptiens savent qu’avec l’accord bilatéral [de réadmission] existant entre l’Égypte et l’Italie, seuls les migrants de moins de 18 ans ne seront pas renvoyés en Égypte », a-t-elle dit. En conséquence, de nombreuses familles envoient leurs fils aînés dans l’espoir qu’ils gagneront suffisamment d’argent pour survenir aux besoins de la famille au pays.
Les autorités italiennes sont tenues de prendre en charge les enfants migrants non accompagnés, et la plupart sont directement conduits des ports où arrivent leurs bateaux jusqu’à des centres spécialisés gérés par le gouvernement. Ahmad Al Roussan, qui travaille comme médiateur culturel chez Médecins sans frontières (MSF), a dit que les services disponibles aux centres étaient lacunaires, et qu’il y avait notamment un manque d’interprètes. (...)
Les enfants, qui ont souvent enduré des traumatismes lors de leur voyage jusqu’en Italie, sont désorientés à leur arrivée, a dit M. Al Roussan. « Nous avons rencontré de nombreuses jeunes filles ayant subi des violences sexuelles lors de leur voyage jusqu’en Lybie. Bon nombre [d’enfants] ont vu des amis ou d’autres membres du groupe mourir pendant leur voyage, dans le désert ou en mer. ils n’ont pas le bagage nécessaire pour faire face. »
« Beaucoup d’entre eux ignorent où se situe Rome sur la carte ; [ils] ne savent pas où ils se trouvent », a-t-il ajouté.
Un nombre considérable d’enfants s’enfuient des centres gérés par le gouvernement dès qu’ils en ont l’occasion. Le ministère italien de l’Intérieur n’est pas en mesure de dire combien d’enfants non accompagnés ont disparu jusqu’à présent cette année, mais ils sont 3 707 à s’être enfui des foyers du gouvernement en 2014.
Fuyards en danger
Une fois libres, beaucoup parviennent à rejoindre des pays comme l’Allemagne ou la Suède, mais d’autres se retrouvent piégés dans des situations de travail forcé ou d’exploitation sexuelle. Gemma Parkin, la porte-parole de Save the Children, a dit que les fillettes nigériennes étaient particulièrement susceptibles d’être victimes d’esclavage sexuel. (...)
Pour Mme Parkin, l’incapacité de la communauté internationale à trouver des solutions à la crise prolongée des réfugiés pousse des enfants pas plus vieux que neuf ans à rejoindre seuls l’Italie.
« Ces enfants vivent en camp de réfugiés depuis des années », a-t-elle dit. « Ils ont perdu tout espoir d’être réinstallés. Alors de plus en plus d’enfants prennent le chemin de l’Europe parce qu’ils ne voient pas d’issue légale. »
À l’extérieur du centre culturel, un jeune homme se repose à l’ombre, quelques jours après son arrivée en Italie et plus d’un an après avoir quitté l’Érythrée. Il dissuade quiconque de suivre ses pas.
« Il est difficile de ne pas quitter l’Érythrée, mais il y a aussi la difficulté du voyage », a-t-il dit. « Quand je suis parti, je ne savais pas que le voyage pouvait être aussi difficile. »