Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
CADTM
Qu’est-il arrivé au printemps arabe, cinq ans après ? - Partie 1 sur 2
Article mis en ligne le 26 janvier 2016
dernière modification le 20 janvier 2016

Nous atteignons le cinquième anniversaire du commencement des soulèvements arabes. Initiée en Tunisie le 17 décembre 2010, une vague révolutionnaire s’est répandue à travers le monde arabe. Des millions de personnes sont descendues dans les rues, exigeant la dignité, la démocratie et la justice sociale. Des mobilisations de masse d’une échelle inconnue dans l’histoire récente se sont déroulées en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Bahreïn, au Yémen et en Syrie. Elles ont transformé les dynamiques sociales et politiques dans l’ensemble de la région. Une politique de l’espérance est devenue possible.

Néanmoins, cinq ans plus tard, des forces contre-révolutionnaires composées de secteurs de l’ancien régime et de fondamentalistes islamiques ont repris l’initiative politique et s’affrontent violemment pour le contrôle. L’Egypte se trouve sous une dictature pire que celle qui précédait le soulèvement ; des guerres civiles ont éclaté en Syrie, en Libye et au Yémen. Des centaines de milliers de personnes sont mortes et des millions ont été déplacées.

Comment pouvons-nous prendre le pouls de cette conjoncture ? Quels en sont ses traits et ses perspectives principales ? Nada Matta, pour la revue Jacobin, a cherché à répondre à ces questions en discutant avec Gilbert Achcar, l’un des analystes de premier plan de la région. (...)

Afin de clarifier les termes de la discussion, il faut se souvenir que l’opinion dominante au début, en particulier dans les médias occidentaux, était que la région arabe entrait dans une période de transitions démocratiques, laquelle prendrait quelques semaines ou mois dans chacun des pays et qu’elle resterait relativement pacifique, conduisant vers une nouvelle époque de « démocratie électorale » à l’échelle de la région.

Selon cette opinion, fondamentalement la transition a été réalisée en Tunisie avec la chute de Ben Ali et en Egypte avec celle de Moubarak. Il semblait acquis qu’un même modèle s’étendrait à la plupart des pays de la région, par effet de domino, d’une manière semblable à ce qui s’est passé en Europe de l’est en 1989-91. Cette vision était résumée par le label printemps arabe », qui s’est répandu très rapidement.

L’idée sur laquelle reposait cette vision était que ce « printemps » était le résultat d’une évolution culturelle et politique apporté par une nouvelle génération connectée à la culture mondiale, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les soulèvements étaient donc, selon cette appréciation, essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, une lutte pour les libertés politiques et la démocratie.

Une telle vision n’était, bien entendu, pas entièrement à côté de la plaque. Ces dimensions constituaient des caractéristiques décisives de ces soulèvements. Néanmoins, le point central sur lequel j’ai insisté dès le début, était que les racines profondes du bouleversement régional étaient de nature sociale et économique avant d’être politique. Ce qui se passait était, avant tout, une explosion sociale, même si elle a pris un caractère politique à l’instar de toute explosion sociale de grande échelle.

Le fond social de ces soulèvements ressort du fait qu’ils ont débuté dans les deux pays dans lesquels s’est déroulée la plus remarquable accumulation de luttes sociales, de lutte de classes, au cours des années précédentes : la Tunisie et l’Egypte. Les slogans du soulèvement eux-mêmes ne se limitaient pas au politique, ils ne portaient pas simplement sur la démocratie et la liberté. mais également, et de manière très forte, sur des revendications sociales. (...)

j’ai qualifié très tôt ce qui a débuté en Tunisie le 17 décembre 2010 avant de s’étendre à l’ensemble de la région du commencement d’un processus révolutionnaire à long terme. Par ce terme, je fais référence à des processus historiques de révolution qui se déroulent non pas en quelques semaines ou mois, mais sur des années et des décennies. Les soulèvements ouvraient sur une période longue d’instabilité régionale, ils passeraient nécessairement par des hauts et des bas, par des vagues révolutionnaires et des revers contre-révolutionnaires, avec une dimension violente très forte.

Au début, cela semblait pessimiste car je disais aux gens de revenir de l’euphorie qui les avait saisis, soulignant que l’on était loin de la « fin de l’histoire », que ce qui était en jeu était extrêmement complexe et difficile, que cela prendrait du temps et que cela ne resterait pas pacifique. (...)

Actuellement, il est possible que j’apparaisse comme optimiste lorsque j’affirme que le processus révolutionnaire est loin d’être achevé, que j’invite les gens à se réjouir, loin de la morosité qui les saisit. La situation paraît désastreuse et catastrophique dans de nombreux pays : avant tout, bien entendu, en Syrie où se déroule une immense tragédie, mais aussi au Yémen, en Libye et en Egypte. Ce n’est toutefois pas la fin. Il n’y aura pas de stabilité dans la région, sur le long terme, à moins que ne surviennent des changements sociaux et politiques radicaux.
(...)

La seule prédiction certaine que l’on peut faire est que, sans l’apparition des conditions politiques subjectives pour un changement social et politique, c’est-à-dire de forces politiques organisées portant la bannière d’un changement progressiste, la région est vouée à faire face à d’autres désastres comme ceux que nous voyons, en particulier depuis deux ans. (...)

La coexistence d’une richesse extrêmement ostentatoire avec une pauvreté extrême créée d’immenses frustrations. Ce problème s’est aggravé considérablement suite au boom pétrolier des années 1970. Ainsi que je continue de le dire, la véritable question en 2011 n’était pas tant de savoir pourquoi il y a eu une explosion, mais pourquoi il a fallu si longtemps pour qu’elle survienne étant donné la suraccumulation d’un potentiel explosif.

La raison de ce blocage économique découle du fonctionnement du néolibéralisme dans le contexte du monde arabe. (...)

Ce modèle de croissance tirée par l’économie privée a fonctionné dans certains pays dont les conditions étaient appropriées, comme le Chili, la Turquie ou même l’Inde, bien que le coût social fût très élevé. En raison du caractère de l’Etat, cela ne pouvait simplement pas fonctionner, cependant, dans le monde arabe. (...)