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Quand TF1 fait son miel de « Confessions intimes »
Article mis en ligne le 21 mars 2014
dernière modification le 18 mars 2014

« Confessions intimes », l’émission de divertissement et/ou de « documentaire » spécialisée dans les « sujets de société » diffusée par TF1 et NT1 (dont le capital est détenu à 100 % par le groupe TF1) remporte un vif succès. Sa meilleure audience, le 8 janvier 2007, fut ainsi de 3,9 millions de téléspectateurs.

Grossière accumulation de séquences voyeuristes et sensationnalistes, l’émission consiste à mettre en scène des cas individuels caricaturaux, qui recouvrent en réalité diverses formes de misère sociale, affective, relationnelle, sexuelle, identitaire, etc. Le dégoût que pourrait inspirer cette exploitation télévisuelle et donc mercantile de la misère humaine ne saurait néanmoins justifier une simple condamnation morale des téléspectateurs qui suivent ce programme. L’analyse des ressorts de l’émission doit au contraire permettre de comprendre les causes de son succès.
La différence n’est pas ici l’objet d’une réflexion, mais l’occasion d’une réaffirmation brutale des normes. (...)

La définition de ce qu’est un « problème » est bien sûr elle-même très problématique. D’une part, on l’a montré, c’est la transgression individuelle qui est dénoncée : le contexte social dans lequel elle s’inscrit n’est jamais évoqué et les individus, jugés responsables de ce qu’ils sont, sont sommés de « se prendre en main ». Symbole de cette apologie irresponsable de la « responsabilité individuelle », le coach peut aider les « cas » présentés à s’amender, à la seule condition que ceux-ci veuillent bien s’en donner la peine ! (...)

Pourtant, et c’est loin d’être anodin, tout ceci se déroule avec pour toile de fond un environnement social plutôt défavorisé, sans que cela soit jamais dit explicitement. Pis, tout se passe comme si les producteurs choisissaient les participants, et surtout les mettaient en scène de sorte qu’ils illustrent les clichés les plus caricaturaux et dépréciatifs sur les classes populaires.
L’émission fait donc de comportements potentiellement détestables (ou en tout cas présentés comme tels) l’apanage des plus modestes. Envoyer un coach aux actionnaires égoïstes ? Sûrement pas. Présenter un psychologue à un Balkany brutal ou simplement grossier, ou encore à un Finkielkraut qui pique une crise ? Hors de question. (...)

L’émission entérine de surcroît les normes dominantes et véhicule un conformisme d’une étroitesse confondante
Il faut donc sans doute en conclure que si les pauvres voulaient s’en sortir, ils le pourraient très bien, que si les enfants en difficulté scolaire se « mettaient au travail », ils réussiraient, et que si les mères faisaient preuve d’une autorité élémentaire, elles parviendraient à élever leurs enfants... Heureusement, qu’une chaîne de télévision les a généreusement pris en pitié et vient les secourir – du moins ceux qu’elle juge suffisamment « télégéniques »... (...)

Dans d’autres cas, c’est la dimension ultra marginale et anecdotique des cas présentés qui est niée au profit du spectacle drôle et effrayant qu’offre « l’anormal ». Sans oublier que la présence même de la caméra incite à la surenchère et à l’auto-caricature, sans oublier non plus que les réalisateurs de l’émission suscitent, « corrigent », font « jouer » et « rejouer » les scènes avant de les monter dans le désordre, le tout confinant souvent au pur et simple « bidonnage ».
Mais qu’est-ce qui peut bien expliquer le succès d’audience d’un tel programme, racoleur et reposant largement sur l’artifice et la mise en scène ? Quel intérêt les téléspectateurs peuvent-ils trouver à l’exhibition de stéréotypes tournés en ridicule et de pratiques marginales présentées comme des phénomènes de foire ? (...)

Si l’on ne peut exclure qu’un certain public « cultivé » se délecte, pour s’en gausser, de comportements, d’attitudes, de façons d’être ou de parler qui correspondent à leurs idées reçues, imprégnées de morgue sociale, sur les milieux défavorisés, on peut penser que l’émission s’adresse avant tout à un public populaire.
Les téléspectateurs dont la situation sociale et professionnelle est manifestement dominée, dont la dignité a été malmenée ou qui ont été éprouvés par l’existence, peuvent ainsi trouver dans la confrontation à des difficultés plus grandes encore, voire à « l’anormalité », des raisons de ne pas désespérer de leur sort et de se raccrocher aux maigres ressources et atouts qu’ils détiennent – au premier rang desquels, une certaine « normalité ». (...)

« Confessions intimes » apparaît donc comme une machine à individualiser et à dissoudre les causes sociales de difficultés essentiellement… sociales, doublée d’un puissant appel au conformisme. Quant aux diffuseurs et aux producteurs de l’émission ils sont doublement cyniques en exploitant d’un côté la situation misérable d’individus invités à exhiber leurs failles intimes devant des millions de spectateurs, et de l’autre la modestie et la fragilité de la condition de ces mêmes spectateurs. Une bien belle entreprise. (...)