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Basta !
Quand des multinationales du BTP imaginent la manière dont vous allez vivre demain...
Article mis en ligne le 1er février 2014
dernière modification le 28 janvier 2014

Des « hubs multimodaux », des « nœuds de mobilité décarbonnée », des Modul’air et des UrbanBridge : pour 286 000 euros, Eiffage a été chargée d’imaginer la ville durable à l’horizon 2030, par la communauté d’agglomération de Grenoble. Une ville où la mobilité serait reine, chaque déplacement contrôlé, et les évolutions techniques imposées. Reste à rendre tout cela « acceptable » pour les habitants. Voici le meilleur des mondes imaginé par Eiffage, raconté par le journal grenoblois Le Postillon, qui a assisté à la soirée de présentation des conclusions de l’étude.

Cela fait plusieurs années qu’Eiffage « imagine la ville durable à l’horizon 2030 » [1]. Depuis 2007, l’entreprise a monté un laboratoire de prospective en développement urbain durable, nommé Phosphore. Ce laboratoire avait besoin de « terrains de jeu virtuels » ou de « bac à sable », selon les propres mots d’Eiffage. C’est-à-dire des vraies villes avec de vrais habitants. Les programmes Phosphore 1 et 2 ont été élaborés sur le petit quartier d’Arenc à Marseille, Phosphore 3 a eu pour théâtre 200 hectares à Strasbourg. Depuis 2011, Phosphore 4 travaille sur l’agglomération grenobloise, un territoire autrement plus grand : « 31 000 hectares et plus de 400 000 habitants. Avec ce nouveau terrain de jeu virtuel, les défis et champs d’analyse de Phosphore 4 ont, une nouvelle fois, été largement renouvelés ».

En introduction de la soirée de présentation des conclusions de l’étude, le 17 septembre 2013, Marc Baietto, président de la Métro – la communauté d’agglomération de Grenoble – se félicite d’avoir eu le « courage » de confier cette étude à une entreprise privée, « pour nous permettre de réfléchir librement (sic). (…) Il nous faut sortir de nos ornières, de nos cercles, de nos habitudes de pensée. La réflexion est libre. Travailler avec un groupe comme Eiffage, c’est un gros avantage. »

Une étude à 286 000 euros mais un esprit « non mercantile »...

Pour Eiffage, travailler avec un groupe comme la Métro est un gros avantage, qui s’évalue, cette fois-ci, à 286 000 euros payés par la communauté de communes (le tarif initial était de 885 000 euros, revu ensuite à la baisse) [2]. A ce prix-là, Valérie David, directrice du développement durable chez Eiffage, s’extasie, lors de la soirée de présentation des conclusions de l’étude : « On a travaillé avec un esprit d’enfant, candide. (…) Trente-cinq professionnels tous différents, tous motivés ont travaillé pendant dix-huit mois, et ont laissé libre cours à leurs idées. » Avant d’assurer, sans rire : « L’objectif de ce laboratoire n’est pas mercantile. » Pour Phosphore 4, la boîte s’est donc associée avec des entreprises aussi désintéressées qu’elle : Poma, leader du transport par câble et Dassault Systèmes, qui s’est occupé de réaliser les maquettes. (...)

En gros, les deux entreprises proposent un plan qui leur permettra de réaliser le maximum de bénéfices. Eiffage s’occupera des nouveaux immenses bâtiments, des parkings et de la requalification des routes ; Poma s’appropriera bien naturellement le juteux marché des transports par câble omniprésents. Résultat pas si mauvais pour un labo non « mercantile ».

D’ailleurs, les retombées économiques sont déjà là : Eiffage est parvenu à obtenir deux chantiers très importants sur la presqu’île scientifique, quartier en pleine mutation appelé à être le futur centre-ville de Grenoble.
(...)

Eiffage assure que « tout ce qui est proposé est réalisable techniquement ». Le problème, c’est qu’il n’y a pas que la technique à prendre en compte, mais aussi cet affreux paramètre que sont les habitants. C’est pour ça que la question de « l’acceptabilité » est revenue plusieurs fois lors de la soirée de présentation du 17 septembre 2013. (...)

Le lancement de Phosphore est donc une stratégie du groupe pour jouer sur tous les tableaux. Et être perçu comme un précurseur quand les effets du réchauffement climatique se feront plus durement ressentir. Remarquons au passage que le meilleur des mondes selon Eiffage ne propose jamais de diminuer drastiquement les déplacements, seule solution évidente pour lutter contre le réchauffement climatique (...)

Pour Eiffage et Poma, la sédentarité, c’est has been. Et surtout, l’immobilité n’est pas un business. (...)

Cette société de la « mobilité décarbonée » sera très réglementée, notamment grâce à une « gestion centralisée des déplacements ». En clair : tous les déplacements seront fliqués (...)

Sous prétexte d’inventer la société de la « mobilité décarbonée », Eiffage imagine donc une ville où il ne sera plus possible d’amener des marchandises sans que le voyage ait été « validé » par des techniciens. On peut raisonnablement supposer que ce contrôle ne s’arrêtera pas au transport des marchandises et qu’il concernera bientôt toutes les formes de déplacements, répertoriés et analysés grâce aux multiples puces RFID dont l’habitant lambda devra se servir pour emprunter les transports. C’est le monde de l’Enfer vert, du titre d’un livre de Tomjo [4], qui décrit à partir du cas de Lille-Métropole, l’instauration d’« une dictature technique au nom de l’urgence écologique. Laquelle utilise l’effondrement de la société, du lien social jusqu’à la biodiversité, pour justifier son emprise totale ».

Instaurer cette dictature technique ne se fera pas sans vague. Valérie David l’a bien compris et prévient : « Il faut inciter à entrer dans des logiques vertueuses de massification et réduire les possibilités de déroger ou de faire comme on veut. C’est un langage coercitif, mais bon. » (...)