
Le travail de recherche du sociologue Nicolas Duvoux, nous invite à réfléchir sur l’évolution des pratiques professionnelles des assistantes sociales de secteur. L’étude à laquelle il a participé pour le Département de Seine-Saint-Denis vise à « analyser les perceptions, les pratiques et les relations aux usagers des assistant(e)s du service social départemental. Il s’agit d’interroger le sens, les finalités, les difficultés et les leviers dont disposent les acteurs du travail social aujourd’hui. 6 circonscrriptions d’action sociale ont été été étudiées.
Tous « constatent le recul des services publics avec la disparition des permanences de proximité ». Elles font suite à la dématérialisation des prestations délivrées par la CAF, la CPAM, la CNAV ou encore Pôle Emploi. La présence physique tend à disparaitre pour être remplacée par des procédures en ligne où la personne se retrouve seule face à sa tablette, son ordinateur ou son smartphone.
Bien évidemment ce mouvement général a eu d’autres conséquences. Les permanences des assistantes sociales ont été investies par des personnes qui par le passé ne venaient pas. Cela a provoqué un élargissement de leur intervention : les assistants sociaux estiment réaliser, auprès des publics ne maîtrisant pas l’écrit et/ou l’outil informatique, un travail de médiation administrative et numérique qui incomberait à leurs partenaires. Mais quand on est face à la perte de droits, il faut bien agir. Or agir aujourd’hui, c’est renseigner des logiciels via des plateformes numériques devenues indispesnables pour percevoir des prestations. (...)
L’embolie liée au nombre de demandes, les suspensions de versement de prestations, et les situations pour lesquels aucun dispositif ne répond ont provoqués de multiples tensions. Les personnes reçues mettent en oeuvre désormais des stratégies pour obtenir rapidement un rendez-vous avec une assistante sociale en utilisant les termes adaptés pour que l’accueil les oriente rapidement vers les professionnels de leur choix.
Cette réalité où se succèdente des situations toutes aussi urgentes les unes que les autres embolise et désorganise le travail. Il renforce un sentiment de travail « baclé » insatisfaisant car ne répondant plus à l’idéal professionnel qui vise à intervenir en prévention pour permettre l’autonomie de la personne.
Un idéal issu de « l’âge d’or » du service social
Nicolas Duvoux dans son étude fait référence à la perte que représente une époque révolue : « Certains professionnels se réfèrent à un « âge d’or » du travail social où chacun parvenait à construire des solutions, dans le cadre d’un accompagnement global, dans la durée. Ce travail s’appuyait sur un partenariat local fort. Les évolutions du contexte socio-économique, la montée en puissance des dispositifs, le désengagement des partenaires, les évolutions des demandes des usagers ont bouleversé ce modèle classique de la polyvalence » .
Les tâches dites « administratives » se multiplient au point de donner l’impression que la mission première disparait. Cette mission d’écoute, de reformulation et d’analyse partagée et de recherche commune de solutions ne serait plus mise en oeuvre au grand regret (désespoir ?) des collègues interrogées. (...)
Les « nouvelles » assistantes sociales expriment leur engagement, qui se traduit par un militantisme qui émerge selon certaines d’entre elles au sein de leurs pratiques. La conscience d’être au coeur des injustices sociales et de pouvoir agir pour que certaines de ces injustices puissent être évitées ou réparées motive leurs actions. (...)
Nicolas Duvoux nous explique que « Une majorité d’enquêté(e)s évoquent les « pratiques oubliées » au sein de la profession d’assistant de service social. Parmi ces tâches en déclin, certain(e)s citent l’accompagnement des usagers au sein de divers services publics, administrations, associations, et à des sorties telles que des visites culturelles. Deux facteurs sont évoqués pour expliquer ce déclin : le manque de temps du fait de l’accroissement de la file active et des tâches administratives liées au développement des dispositifs ; l’éloignement géographique de certains de certains partenaires avec la suppression « des guichets » ainsi que la numérisation des démarches. Mais ce sont aussi les visites à domicile, ces VAD qui marquent le pas. « Par manque de temps, certains assistants de service social se disent en incapacité de s’intéresser aux parcours de vie, de saisir l’ensemble de la situation de l’usager. Pourtant, ces éléments sont considérés comme constituant le cœur du métier. On observe également au sein de certaines circonscriptions un déclin des actions collectives, des espaces de réflexion et des groupes d’échanges autour des pratiques professionnelles ».
Cette analyse concerne le Département de Seine Saint Denis et ne vaut pas pour l’ensemble des Départements. Il existe encore des lieux où un accompagnemet social global peut être encore réalisé, des lieux ou les institutions encouragent les actions collectives. (...)
Le sens tant recherché permettant de tenir bon dans le respect de l’éthique professionnelle est mis à rude épreuve. Certains professionnels peuvent nourrir la méfiance vis-à-vis de leur institution, des craintes même concernant l’avenir du service social départemental. Les encadrements ne sont plus techniques et se limitent à du management de ressources humaines. Or les travailleurs sociaux ont besoin d’avoir des référents techniques qui les aident à analyser, à réfléchir sur leurs positionnements professionnels. Ils ont besoin de soutien et d’aide à la prise de distance. C’est peut être aussi cela qui est le plus important.
Enfin ils ont besoin d’espaces de réflexions et de marges de manoeuvre, c’est dire d’autonomie pour rechercher avec les personnes qu’ils reçoivent des solutions qui ne passent pas par les dispositifs pré-établis. Ce type de solution rend du temps. Il faut donc qu’ils puissent en disposer. Tout cela est sans doute facile à dire mais semble bien difficile à mettre en oeuvre.