
Le 18 septembre dernier, l’ACLU, la principale organisation de défense des droits civiques aux États-Unis, a commémoré l’anniversaire du décès de la juge de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg sur Twitter en postant une phrase qu’elle avait prononcée en 1993 sur le droit à l’avortement. Afin d’adapter le vocabulaire aux nouveaux standards acceptables en 2021, les mots « femme » et « elle » ont été remplacés par des termes neutres du point de vue du genre. « La décision de porter ou non un enfant est essentielle dans la vie d’une [personne]… Quand le gouvernement contrôle cette décision pour [les gens], [ils] sont traités comme moins que des adultes humains responsables de [leurs] choix. »
Dans la version originale, « [personne] » était « femme » et « [les gens] » était « elles ».
L’intention était d’être inclusif envers les hommes trans, qui sont nés avec des organes sexuels féminins mais s’identifient en tant qu’hommes. Le problème est que cette tentative d’être plus inclusif se fait en censurant les mots d’une juge qui a consacré sa vie au combat pour les droits des femmes et contre la discrimination « en fonction du sexe ».
Le tweet a été critiqué de toutes parts : à droite, comme un énième exemple de politiquement correct ridicule, mais aussi par de nombreuses féministes choquées que l’ACLU refuse de parler clairement de la lutte des femmes pour leurs droits reproductifs. Dans le New York Times, l’éditorialiste Michelle Goldberg résume ainsi la tension : « L’effacement de ce langage genré peut être ressenti comme une insulte, car cela censure les termes que des générations de féministes ont utilisé pour exprimer le caractère unique de leur situation. »
Beaucoup plus qu’« homme », c’est surtout le mot « femme » qui a tendance à être remplacé. (...)
Quelques jours après, la revue médicale britannique The Lancet dévoilait la une de son nouveau numéro avec une citation, tirée d’un article sur la menstruation : « Historiquement, l’anatomie et la physiologie des corps avec vagins a été négligée. »
Le choix de cette une a fait scandale car, encore une fois, au nom de l’inclusion des hommes trans, les femmes se retrouvaient réduites à leurs parties génitales. Le directeur a publié un communiqué d’excuses. « Nous avons donné l’impression d’avoir déshumanisé et marginalisé les femmes », a-t-il reconnu. Fin septembre, The Lancet avait tweeté un article qui évoquait « les dix millions d’hommes qui vivent actuellement avec un diagnostic de cancer de la prostate », sans que le mot « homme » soit considéré comme problématique, alors que de façon symétrique, il aurait fallu dire « personne avec prostate » pour inclure les femmes trans qui ont des prostates.
En effet, beaucoup plus qu’« homme », c’est surtout le mot « femme » qui a tendance à être remplacé, ou accompagné d’autres descriptions neutres, comme lorsque l’élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez a récemment déclaré, en parlant d’un gouverneur opposé à l’avortement : « Je ne sais pas s’il comprend le corps d’une personne qui a ses règles, je sais qu’il ne comprend pas le corps d’une femme, le corps féminin ou le corps d’une personne qui a ses règles. » Avec ces termes, Alexandria Ocasio-Cortez parvenait ainsi à inclure tous les cas de figures possibles, dont les hommes trans, les personnes non-binaires, ou encore les femmes qui n’ont pas leurs règles.
Une forme de transphobie
Mais suivre la logique du langage inclusif promu par les activistes s’avère très complexe (...)
Bien que la grande majorité des Américains ignorent tout de ce débat sur l’utilisation du mot « femme », plusieurs institutions médicales et scientifiques du pays ont décidé de l’effacer au nom de l’inclusivité. Sur le site internet de la CDC, la principale agence de santé publique aux États-Unis, la page d’informations sur les vaccins contre le Covid-19 et la grossesse utilise plusieurs fois le terme « personne enceinte », et le mot « femme » n’est utilisé qu’une fois en référence à une étude scientifique. Et sur le site de Planned Parenthood, la principale organisation de planning familial aux États-Unis, les pages sur le cancer du col de l’utérus et la grossesse ne mentionnent pas une seule fois le mot « femme », qui est systématiquement remplacé par « personne ». (...)
s’il est utile dans une campagne de santé publique d’ajouter ces termes afin d’indiquer que les personnes trans sont incluses, demander que le mot « femme » soit effacé du langage médical semble extrême. Pourtant, pour de nombreux activistes, ces changements de mots ne sont pas de l’ordre de la discussion ou de la simple préférence : vouloir en débattre serait déjà une forme de transphobie et, dans certains contextes, il est entendu que ne pas dire « personne enceinte » est une forme de discrimination.
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Le discours de certains militants demande une primauté absolue de l’identité de genre sur le biologique (avec l’idée qu’on peut déclarer être une femme ou un homme, quels que soient ses organes reproductifs) tout en réduisant les femmes à leur biologie au nom de l’inclusion (avec des expressions comme « personne qui a ses règles »). Au niveau du langage, les activistes trans se placent donc dans une position difficile : vouloir remplacer le mot « femme » par des termes anatomiques, tout en affirmant que seule l’identité de genre compte, pas le sexe biologique.