
Quelque 40 millions de Brésiliens sont sortis de l’indigence depuis l’arrivée au pouvoir du parti des travailleurs, en 2002. (...) ils redoutent que le nouveau pouvoir ne revienne sur les programmes sociaux. (...)
Tous redoutent la suite, égrènent les dangers qui menacent un mouvement « qui a tiré quarante millions de Brésiliens de l’indigence en une dizaine d’années » résume Evanildo Barbosa, directeur de Fase. L’ONG brésilienne reçoit le soutien régulier du CCFD-Terre Solidaire. Elle est installée dans une maison où a vécu Dom Helder Camara, l’évêque de Recife, promoteur de la théologie de la libération. (...)
Elison Felipe, comme d’autres, redoute « la déconstruction par le nouveau gouvernement de tout ce que nous avons gagné ». Ce qu’il a gagné, c’est avant tout « la reconnaissance que nous, descendants d’Africains, avons construit ce pays. Une sorte de réparation. Avant, il n’était pas question de voir un Noir à l’université ». Depuis que Dilma a été écartée, il estime que « la police est revenue à ses méthodes violentes contre les Noirs. Elle nous considère comme des délinquants potentiels ».
« L’élite brésilienne a sifflé la fin de la partie. Elle a déclaré que cela suffisait » assure Evanildo Barbosa. « Nous vivons un coup d’État, même s’il n’y a pas de militaires dans les rues comme en 1974. Nous risquons de tout perdre. » Ce « tout » est d’abord la Bolsa Familia (bourse pour les familles), mesure emblématique qui bénéficie à 23 millions de Brésiliens. En moyenne, les familles touchent l’équivalent de 40 €. La somme dépend du nombre d’enfants. En contrepartie, les enfants doivent aller régulièrement à l’école et avoir à jour leur programme de vaccinations. « Le Brésil est sorti en 2014 de la carte de la faim dans le monde. En outre, ce programme a donné un réel pouvoir aux femmes. Ce sont elles qui reçoivent l’argent » se félicite Roberval, le directeur de l’AS PTA, à Campina Grande, à quatre heures de route de Recife, au cœur du Pernambouc.
La réforme agraire n’a pas eu lieu
Son ONG appuie les combats des agriculteurs de la région. Elle aussi est soutenue par le CCFD Terre Solidaire. Dans cette terre du nord du Brésil, les petits exploitants pratiquent une agriculture familiale sur quelques hectares, et citent le programme « un million de citernes » comme le changement majeur. Le Nordeste vit sous la menace constante d’une crise hydrique. Le programme mis en place par le gouvernement Lula consiste à équiper les fermes de citernes enterrées en béton.
L’autre révolution espérée, celle de la réforme agraire, n’a en revanche pas été entreprise par Lula et Dilma. Dans le Nordeste, tout le monde s’accorde à dire que Lula – et Dilma, dont le nom se prononce un ton plus bas – a aussi fait le jeu de « l’agro-industrie », cette agriculture du soja qui s’étend au sud du pays et aux marges de l’Amazonie. « Le parti des travailleurs a prôné une politique du gagnant-gagnant. Pauvres et riches devaient profiter de sa politique. Il n’a pas voulu s’attaquer aux structures des inégalités. On peut parler de réformisme mou » résume Evanildo Barbosa. (...)
Le nouveau gouvernement voudrait diminuer de 15 à 5 millions le nombre de bénéficiaires de la Bolsa Familia, compte réduire la majorité pénale à 16 ans pour lutter contre la délinquance juvénile, veut remonter de 10 ans l’âge de la retraite pour les agricultrices, qui était jusqu’alors de 55 ans. « Ce gouvernement de putschistes n’aime pas les pauvres » résume Alberto. Du moins, lâche Evanildo Barbosa, il voudrait revenir à « de simple distribution d’aumônes, au lieu d’un véritable travail social et politique ».