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Mediapart
À Gaza, la grossesse n’est plus un miracle, c’est un pari risqué
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #genocide #femmes
Article mis en ligne le 7 juillet 2025

Dans sa nouvelle chronique depuis Gaza, l’écrivaine et journaliste palestinienne Nour Elassy raconte comment le génocide s’attaque aussi aux enfants à naître. Elle dénonce « une guerre contre l’utérus », « un effacement biologique »

À Gaza, la grossesse n’est plus un miracle, c’est un pari risqué. Les femmes murmurent leurs nuits blanches et rêvent de traces de pas de bébés réduites en cendres. Elles se répètent : « Je n’échoue pas chez moi, j’échoue face au siège. » La guerre de Gaza ne se livre pas seulement aux vivant·es. Elle s’attaque aussi aux enfants à naître. Et cela aussi est un génocide.

Depuis le 7-Octobre, chaque femme enceinte à Gaza est contrainte de porter la vie dans un corps que le monde a déjà abandonné. Être enceinte ici n’est pas une condition sacrée. C’est une condamnation à mort.
Abandonnées

Sans nourriture, sans médicaments, sans sécurité et sans aucun endroit où se cacher, des femmes ont fait des fausses couches en fuyant les bombes, en mendiant devant les camions d’aide, en dormant sur le béton, en hurlant dans des cliniques effondrées pour appeler des médecins déjà morts. Ce n’est pas une conséquence de la guerre. C’est la guerre elle-même.

Il n’y a pas de sanctuaire à Gaza, pas de zone de sécurité. Les femmes fuient les bombes pour finalement s’effondrer sur le sable au clair de lune, en sang, abandonnées. Elles perdent leurs bébés en donnant à boire à leurs frères et sœurs, en traînant leurs maris blessés, en portant des provisions qu’elles n’atteignent jamais.

J’ai parlé à des femmes qui se tenaient le ventre alors que leur bébé cessait de bouger. Elles ont saigné pendant des heures sous des tentes, sans lumière, sans sage-femme, sans personne pour dire : « Il est parti. » J’ai vu une femme enterrer son enfant mort-né dans la fosse commune où reposaient déjà son mari et sa fille. Elle m’a regardée et m’a dit : « Il est mort avant d’ouvrir les yeux. Quel crime a-t-il commis ? »

Il n’y a pas de réponse. Il n’y en a jamais eu.

Laissez-moi vous présenter les faits, car les chiffres semblent plus importants que les noms : plus de 50 000 femmes enceintes restent bloquées à Gaza, selon le Fonds des Nations unies pour la population. Nombre d’entre elles survivent avec un seul repas quotidien composé de haricots en conserve ou de pain moisi. Plus de 15 % souffrent de malnutrition grave, d’anémie sévère, de déshydratation et d’infections non traitées. (...)

Les hôpitaux autrefois capables d’offrir la vie sont devenus des mausolées. Seules quelques maternités subsistent, fonctionnant dans des conditions de siège : pas de couveuses, pas d’électricité, pas d’eau potable. Les sages-femmes accouchent à la lampe torche. Les césariennes sont pratiquées sans anesthésie. Les femmes saignent sous les yeux de leurs mères. Les bébés qui survivent à la naissance meurent souvent en quelques heures, affamés, infectés, mal lavés et sans nom.

Et pourtant, le monde attend des preuves que ces enfants n’étaient pas des terroristes. (...)

Je n’écris pas ceci pour vous choquer. J’écris ceci pour vous hanter. Car un jour, le monde dira : « Nous ne savions pas que c’était si grave. » Mais vous, vous le saviez. Vous le savez maintenant.

Les organisations de défense des droits des femmes doivent exiger des comptes. Non pas des déclarations neutres, mais une indignation organisée suivie d’une action immédiate.

Les tribunaux internationaux doivent considérer cela comme un génocide démographique, l’effacement d’enfants avant qu’ils apprennent à pleurer. Les communautés internationales ne doivent pas parler de l’avenir de Gaza, nous devons crier pour les enfants à naître.

Car si vous laissez un utérus se vider pendant le siège, si vous laissez un fœtus mourir sans nom ni préavis, alors vous avez abandonné non seulement un enfant, mais l’avenir de toute miséricorde restante en ce monde.

Et si le silence était autrefois une complicité, il est aujourd’hui une allégeance sanglante. (...)