Âgé de 31 ans, il a quitté l’enclave palestinienne en 2018 pour rejoindre son frère basé en France. Mais depuis, il n’a pu obtenir ni l’asile ni un droit au séjour. Pire, il est menacé d’expulsion malgré le contexte de la guerre génocidaire menée par Israël.
Dans la maisonnette qu’il occupe, un ancien atelier du centre équestre de la Forge Saint-Herem, Yasin est entouré de plusieurs de ses soutiens, venus témoigner de son parcours en France et des difficultés qu’il subit face à l’administration. (...)
« Il y a un acharnement de la préfecture », dénonce Jean-Pierre, qui dit connaître Yasin depuis huit ans, grâce à leur passion commune pour le cheval. Un jour, alors qu’ils étaient en balade tous les deux, il raconte avoir été témoin d’un appel en visio entre Yasin et son père, alors à Gaza. « On entendait les bombes en direct. Depuis, Israël a tout détruit là-bas. » Il ajoute, l’air renfrogné : « Je ne comprends pas qu’on ne lui donne pas des papiers. »
Huit pages pour ne pas le régulariser
Malgré ses huit années de présence en France, Yasin n’a jamais pu obtenir un droit au séjour. Pire, il doit se battre contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) que la préfecture des Vosges lui a délivré en cascade – trois au total – jusqu’à la dernière le 28 août dernier.
La préfecture lui reproche notamment d’avoir « organisé une manifestation en faveur de la cause palestinienne sans autorisation », ce que lui et son avocate réfutent. « Il s’agissait d’un rassemblement de trois personnes et il n’a fait que participer », assure Me Brigitte Jeannot, qui précise qu’il n’y a « aucune contravention » pour ces faits. (...)
On lui reproche aussi des violences qu’il aurait commises par le passé, pour lesquelles il n’y a pas de condamnation, ainsi que sa proximité avec le Hamas, sans aucune précision. La préfecture se base sur des informations du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) qui, comme l’a déjà raconté Mediapart, sont souvent peu étayées.
Si le SNEAS peut influencer le cours d’une demande d’asile, il n’a pas donné d’objection à ce que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) protège Yasin. Dans sa dernière OQTF, la préfecture écrit d’ailleurs que « l’analyse de sa situation administrative ne révèle pas qu’il aurait démontré un comportement de nature à troubler l’ordre public ».
Sur huit pages, l’administration égraine cependant les raisons qui ne justifieraient pas, selon elle, de le régulariser. Elle veut le renvoyer dans « le pays dont il a la nationalité » ou « tout autre pays dans lequel il serait admissible », évoquant la Turquie et l’Égypte, parce que Yasin y a transité avant de gagner l’Europe, mais aussi le Liban et la Jordanie, parce que des déplacés palestiniens y sont accueillis. Elle note qu’il n’a pas signé le contrat d’engagement à respecter les principes de la République, bien qu’il n’ait « pas explicitement refusé de le signer ». (...)
Elle met en doute ses liens de parenté avec son frère, et donc ses attaches familiales en France, alors que dans sa précédente OQTF, cette même préfecture indiquait que « les seules attaches familiales de Yasin sur le territoire français [étaient] son frère et sa famille ». Elle ajoute qu’il n’est « pas dépourvu d’attaches à l’étranger ». Elle rappelle que « la majeure partie de son séjour en France l’a été de manière irrégulière », du fait de ses demandes d’asile.
Après une première demande rejetée en 2019 (ayant donné lieu à une première OQTF), puis une demande de réexamen rejetée en février 2025, le Gazaoui et son conseil se sont tournés vers la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), où un recours a été déposé compte tenu d’une décision du 11 juillet 2025 actant la protection des Palestiniens sur le critère de la nationalité.
« Si un conflit armé a actuellement lieu dans son pays d’origine, cet élément à lui seul ne constitue un motif humanitaire lui ouvrant un droit au séjour », peut-on lire dans l’OQTF, alors qu’à la date où celle-ci a été notifiée, les bombardements et la famine perpétrés par Israël à Gaza faisaient rage. De son côté, la préfecture des Vosges a indiqué à Mediapart qu’elle ne commentera pas ce cas particulier, mais « sera attentive à la décision susceptible d’être prise par la CNDA ».
Zone de non-droit
« En venant ici, je pensais avoir la liberté, mais je ne l’ai pas trouvée. » La France ne l’a pas aidé, estime-t-il. « Elle a mis sur moi un dossier comme ça », dit-il en mimant une pile épaisse. Il raconte son assignation en résidence, après sa seconde OQTF en 2022, qui l’a contraint à pointer au commissariat trois fois par semaine, sans pouvoir sortir du département.
Ces derniers temps, la police le contrôle « très souvent » lorsqu’il se rend en ville. « Ils me demandent ce que j’ai sur moi, ils me fouillent. » Un jour, alors qu’il serait allé se balader avec son drapeau palestinien, un policier l’aurait braqué avec son arme et l’aurait contraint de ranger le bout de tissu.
Selon Maryse et Franck, Yasin a déjà confié vouloir mourir auprès de ses parents à Gaza. « De nombreuses personnes de sa famille ont été tuées là-bas… » Il arrive aussi qu’il ne se nourrisse pas durant des jours, poursuit Maryse. Mais « il a beaucoup de monde derrière lui », tempère Maximilien. Me Jeannot a déjà récolté une trentaine d’attestations de ses soutiens. (...)
Avant de partir en milieu d’après-midi, Christophe, un maraîcher du coin, pousse un coup de gueule : « Le nombre de personnes qui bossent sur ce dossier pour se contredire, c’est incroyable… L’énergie qu’on met pour empêcher quelqu’un de se mettre en sécurité, mettons-la ailleurs ! »
La seule source de réconfort de Yasin se trouve dans les courses de chevaux, auxquelles il participe parfois. Le trentenaire apporte fièrement une médaille qui trône sur l’étagère, montre des photos de lui au galop sur le rivage à Gaza. « Ça, c’était en 2016. »
Il fuit l’enclave l’année suivante, alors qu’il a 22 ans. « Je travaillais comme livreur et un soir, alors que je déchargeais un camion près de la frontière, j’ai reçu une balle. » Il relève son pantalon et laisse entrevoir une cicatrice au-dessus du mollet. « Je suis resté deux semaines à l’hôpital, puis mon père m’a dit de partir. »
Une nouvelle audience au tribunal (...)
Me Jeannot espère pouvoir lui obtenir une vie normale et déplore que la préfecture « tente de monter un dossier contre lui, qui n’est basé sur rien d’objectif, pour neutraliser son droit au séjour ».
Pour contester le refus de séjour et sa dernière OQTF, une audience est prévue au tribunal administratif de Nancy, le 6 novembre. Cette juridiction a déjà enjoint à la préfecture d’enregistrer sa demande de régularisation et de lui délivrer un récépissé en juin dernier, avant qu’une nouvelle OQTF ne tombe. Avant lui, d’autres Gazaoui·es comme Ibrahim et Shaden, ou Shama ont été menacé·es d’expulsion malgré la guerre.