
(...) Le zéro déchet n’a rien à voir avec les déchets. Il ne vise même pas vraiment à réduire la quantité de déchets produits, leur toxicité, et à lutter contre leurs modes de traitement polluants (décharge, incinération, recyclage).
La plupart d’entre nous parlons de “zéro déchet” par habitude ou ignorance. Les personnes les plus informées précisent “zéro déchet, zéro gaspillage”, pour maintenir le double sens de l’anglais “zero waste”, où waste signifie à la fois “déchet” et “gaspillage”. (...)
Il faut aller plus loin : le mouvement zéro déchet est en réalité le mouvement “zéro gaspillage”. Sa nature et son objectif prêteraient moins à l’incompréhension si on l’appelait par ce nom. On s’éviterait ainsi des propos navrants, comme ceux qui voient dans le zéro déchet un petit geste individuel à faible impact, sans enjeu politique, et accessoire dans le mouvement climat.
Qu’est-ce que le zéro gaspillage ?
Le “zéro gaspillage” est un mouvement de défense de l’environnement qui s’oppose aux gaspillages de ressources naturelles et de matière en général. Il remet en cause les modes de production dominants et la société de gaspillage, désignée à tort comme “société de consommation”.
Le zéro gaspillage est anti-productiviste et anti-extractiviste : il rejette l’idée de produire toujours plus et d’exploiter sans fin les ressources naturelles. Il est donc difficilement compatible avec le capitalisme contemporain.
Le zéro gaspillage est un des visages de la sobriété ou de la décroissance, quel que soit le nom qu’on lui donne (...)
Sortir du jetable et du recyclable
Le mouvement zéro gaspillage vise à sortir de l’économie linéaire, où nos ressources finissent à la poubelle après une brève phase d’utilisation. Dans ce modèle, les étapes d’extraction de matières premières, de fabrication, de transport, de distribution et de gestion des déchets sont invisibilisées. Leurs importants coûts écologiques et économiques sont passés sous silence, tandis qu’on s’obnubile pour l’impact souvent minime de l’étape d’utilisation.
Le zéro gaspillage n’apprécie pas non plus l’économie pseudo-circulaire, qui imite la précédente en lui donnant une apparente respectabilité. Sous prétexte de “circularité”, on évite surtout d’interroger la finalité de la production. De se demander “à quoi ça sert”, “qui en profite” et “est-ce la bonne chose à faire ?”. Qu’importe que notre coque de téléphone soit en plastique recyclé local et bio, si c’est pour garder notre smartphone 18 mois. (...)
Le mouvement zéro gaspillage rappelle que recycler, c’est toujours “décycler” (...)
L’industrie du recyclage se nourrit de la surconsommation sans laquelle elle ne peut pas survivre. Elle ne sauve pas la planète, elle nettoie la mauvaise conscience. (...)
Un mouvement politique
Le zéro gaspillage est par définition politique. C’est un projet de société complet, pas un mode de vie individuel. Il répond à la question : comment vivre ensemble dans un monde aux ressources finies ? Sans détruire le vivant, sans perpétuer l’injustice ?
C’est un projet collectif global qui veut impliquer toutes les parties prenantes. On ne réduit pas le gaspillage en bout de chaîne, par la bonne volonté de quelques personnes motivées. Il faut agir à toutes les étapes de la production, de la conception jusqu’à la gestion du déchet.
Ce projet veut également agir à toutes les échelles. (...)
La société zéro gaspillage réinterroge nos besoins et nos façons de faire. Elle appelle à être inventifs, pour allonger la durée de vie des objets, pour les réparer et les réemployer. Elle propose de s’adapter à ce qu’on a sous la main et à nos projets – tout l’inverse d’une production en masse de produits neufs génériques.
Le décyclage y a une place, mais résiduelle. (...)
Le zéro gaspillage assume de vouloir une société où les plus riches ont tout à perdre et les autres tout à gagner. Mais soyons clairs : ces plus riches, à l’échelle mondiale, ils commencent pas loin du niveau du SMIC en France. On n’appartient pas à un “pays riche” à la lourde responsabilité dans la crise climatique sans être soi-même un ou une hyper-privilégié·e à l’échelle mondiale. La redistribution des richesses fait partie du programme, et pas seulement à l’échelon national.
Une sobriété apaisée et voulue (...)
La sobriété est inéluctable. Les dérèglements des climats affectent déjà l’agriculture : les pénuries, rationnements et famines toquent à la porte. Les lieux invivables se multiplient sur le globe : les migrations et les guerres pour les terres habitables s’invitent elles aussi. La question est de savoir si on préfère une sobriété juste, voulue et organisée, ou bien chaotique, subie et violente.
Face à ce défi, le zéro gaspillage n’est même pas une proposition extrémiste. (...)
L’idée de zéro gaspillage permet de faire apparaître des liens encore trop peu apparents entre des causes multiples. (...)