Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Orient XXI
Gaza. Affamer-expulser, expulser-affamer
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #genocide #famine #GHF
Article mis en ligne le 26 juin 2025

À travers la très mal nommée Gaza Humanitarian Foundation (GHF), Israël conditionne depuis le 26 mai l’acheminement de l’aide. Ce monopole est en réalité utilisé pour forcer les habitants de Gaza à se déplacer vers le sud, dans des « zones de concentration ». Ce plan de transfert par la famine a commencé à s’enliser, mais cela ne fait qu’augurer d’une plus grande brutalité.

Les massacres des Palestiniens qui se sont intensifiés autour des centres de distribution alimentaire (516 morts, 3 799 blessés et 39 disparus au 25 juin) , révèlent, encore une fois, l’ampleur du mépris de l’armée israélienne pour la vie humaine. Ce mépris s’exprime aussi dans la mise en place de ces centres : Israël n’en a créé que quatre pour plus de deux millions de personnes, au lieu des deux cents qui avaient été mis en place par des organisations internationales expérimentées. C’est ainsi qu’on affame et humilie les survivants.

L’emplacement de ces centres est tout aussi important : l’un se trouve au centre de la bande de Gaza et les trois autres à l’extrême sud, à l’ouest de Rafah. Sur la carte publiée (voir carte ci-dessous) par le porte-parole de l’armée israélienne, on constate qu’il n’y a aucun lien entre l’emplacement de ces centres et la localisation de la population. Car l’objectif est de favoriser le « déplacement de la population » vers le sud, de préférence vers les « zones de concentration ».

Mais il est nécessaire de prendre des mesures pour dissimuler ce qui relève d’un crime contre l’humanité. Pour cela, il fallait d’abord éliminer les organisations humanitaires qui pouvaient fournir de la nourriture aux habitants (et produire de la documentation fiable à ce propos) et confier la distribution à des organisations sans expérience et qui sont des instruments aux mains de l’armée. (...)

L’arme de la faim

Ce qui se joue ici, c’est le fait qu’Israël veut avoir le monopole de la distribution de l’aide pour l’utiliser contre la population civile. La famine et la distribution selon les conditions imposées par l’occupant sont deux moyens complémentaires d’utiliser la nourriture comme arme.

L’arme de la faim utilisée de manière systématique contre des populations civiles lors de guerres totales est une pratique qui a une longue histoire. Le « déplacement de population » par la création ou l’exploitation de pénuries graves, ainsi que l’utilisation de l’approvisionnement comme mesure de coercition ne sont pas non plus des nouveautés en Israël. Dans une étude à paraitre, j’ai documenté que, dans les années 1950, les autorités israéliennes ont utilisé la privation de produits essentiels comme un moyen de pression contre les Palestiniens déplacés pour prévenir leur retour, mais aussi dans une moindre mesure contre les juifs (principalement des Mizrahim, juifs originaires des pays arabes) que l’État tentait de transformer en colons dans les régions frontalières. La privation de produits de première nécessité et leur fourniture conditionnelle sont des armes efficaces précisément parce qu’elles n’impliquent ni tirs ni bombardements.

« Nous détruisons de plus en plus de maisons »

Il n’est pas encore sûr que le programme « affamer-transférer » puisse atteindre ses objectifs. Les rapports provenant de la bande de Gaza indiquent que ce sont les plus forts qui se rendent aux centres de distribution, ceux qui peuvent marcher des kilomètres pour transporter un colis pour une semaine entière. Enfin, Israël n’est pas parvenu à convaincre les centaines de milliers de Palestiniens présents dans le nord de la bande de Gaza de faire le long trajet vers le sud, ni à les empêcher d’y revenir. (...)

Et les Palestiniens font preuve une fois encore de leur attachement à leur maison, même quand celle-ci est en ruines. D’autre part, la nourriture, comme on peut s’y attendre dans des conditions de pénurie extrême, tombe entre les mains de gangs violents, souvent soutenus par Israël.

Cela signifie-t-il que le danger diminue, que le plan de transfert par la famine ne fonctionne pas ? Il est trop tôt pour le dire, mais, à terme, la détresse pourrait faire son œuvre. La réponse à l’échec des mesures coercitives prises est déjà une intensification de la destruction et des meurtres, comme ce à quoi on assiste dans le nord. D’après les derniers rapport, tels que ceux recueillis par Meron Rapoport et Oren Ziv, qui citent les témoignages de soldats israéliens, le but de la destruction systématique et aveugle de toutes les infrastructures vitales et du plus grand nombre possible de bâtiments est de forcer les habitants à partir sans pouvoir revenir.

On trouve également une confirmation explicite de cela dans les propos de Nétanyahou évoqués plus haut :

« Nous détruisons de plus en plus de maisons, ils n’ont nulle part où retourner. La seule conséquence logique sera que les Gazaouis voudront émigrer hors de la bande de Gaza. Notre principal problème réside dans les pays d’accueil. » (...)

Le grand projet israélo-américain de transfert reste d’actualité et différents courants de la droite israélienne, au sein du gouvernement comme en dehors, y prennent part.

Trois « zones de concentration »

Où iront les gens s’ils ne supportent pas une telle pression ? Depuis des mois, Israël négocie avec des « pays d’accueil », mais ceux cités (Congo, Tchad, Rwanda) ont démenti. En attendant, les autorités israéliennes parlent de trois « zones de concentration » dans l’enclave palestinienne. Trois de ces zones sont marquées sur la carte publiée par le Times et le Sunday Times le 17 mai, sur la base de sources diplomatiques. Toutefois, cette carte est trompeuse : elle ne prend pas en compte le fait que toute une bande le long de la frontière a déjà été évacuée et que les bâtiments y ont été systématiquement détruits. Selon les déclarations officielles, les Gazaouis n’y seront pas autorisés à y vivre. (...)

Si ce plan israélien était réalisé, elle atteindrait alors 15 000 habitants au km², soit une densité proche de celle des îles riches et luxueuses comme Macao (20 569 habitants au km²) et Singapour (8 128 habitants au km²). La taille réduite de ces « zones de concentration », l’interdiction d’en sortir, l’absence de moyens de subsistance et d’infrastructures permettent de parler de camps de concentration. (...)

Pour les généraux et les politiciens, la divulgation de cartes a également un autre rôle : tester l’opinion, mesurer si des gens s’indignent pour protester, voir jusqu’où on peut aller sans sanctions. Peut-être parviendront-ils à rassembler les survivants palestiniens dans trois « zones de concentration » ; peut-être que le résultat final sera différent. Voulons-nous vraiment attendre le résultat final ?

Purification ethnique — ou pire encore

Si les Palestiniens ont toujours affirmé que la Nakba n’est pas un événement, mais un processus continu, l’étape actuelle est particulièrement périlleuse. (...)

Mais actuellement, nous assistons à une accélération inouïe du processus qui entraîne un niveau de cruauté inconnu.