
Un peu plus de 100 000 Afghans sont présents en France. Ces arrivants, qui bénéficient d’un système relativement "protecteur" de l’asile en France, sont majoritairement jeunes, masculins, peu scolarisés, et souvent en difficulté d’apprentissage linguistique et d’insertion professionnelle. Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), dresse un état des lieux de cette immigration afghane en France depuis 2015. Entretien.
(...) Didier Leschi : Cette "grande ampleur" relève autant du nombre d’Afghans présents sur le sol français que des répercussions sociales et culturelles liées à ces arrivées importantes et inattendues. En une décennie, plus de 100 000 Afghans sont devenus résidents alors que la France n’avait aucun lien historique, culturel ou cultuel avec l’Afghanistan.
En ce sens, ces arrivées, par exemple, sont différentes de l’immigration indochinoise venue en France dans les années 70, après la chute de Saïgon [qui marque la fin de la guerre du Vietnam, ndlr] ou la victoire des terribles Khmers rouges [mouvement génocidaire et ultranationaliste cambodgien à la fin des années 1970, ndlr].
Nous sommes volontairement allés chercher [cette immigration] du fait d’un passé commun, beaucoup étaient encore francophones. Et il existait déjà une communauté indochinoise présente en France depuis la Grande Guerre. Ho Chi Minh avait été travailleur à Marseille, et membre du parti communiste en France.
Pour l’Afghanistan, aucun lien historique de ce type n’existe, si ce n’est un lien disons élitiste avec une petite partie de la population afghane francophile. (...)
En une dizaine d’années, les Afghans sont entrés dans le top 10 des nationalités bénéficiant d’un titre de séjour de longue durée. Si l’on ajoute les personnes ayant acquis la nationalité française, et celles qui ont été déboutées du droit d’asile mais qui sont restées sur le territoire, on dépasse bien évidemment les 100 000 Afghans en France.
La grande majorité de ce groupe humain est constituée d’hommes jeunes peu formés, beaucoup ne savent ni lire ni écrire [le dari ou le pachto], ce qui accentue les difficultés d’intégration.
Bien sûr, il y a des Afghans qui ont réussi un parcours individuel remarquable. Les femmes, d’ailleurs, ont souvent un bon niveau de formation supérieure. Je pense en particulier à celles qui ont réussi à fuir le pays après la prise du pouvoir des Taliban, en août 2021. (...)
s c’est surtout la politique en Europe du Nord, en Suède en particulier, qui a suscité un repli vers la France. Stockholm n’a attribué que très faiblement une protection internationale aux Afghans. Près d’un Afghan sur deux qui, pendant cette décennie, a demandé l’asile en France, avait déjà été enregistré comme demandeur d’asile soit en Allemagne soit en Suède - d’où ils ont été incités à partir et même à ne plus venir. (...)
L’asile afghan illustre bien comment des politiques d’accueil ou de non accueil propre à chaque pays de l’UE peuvent orienter des flux, et combien l’absence d’harmonisation sur les taux de protection en matière d’asile permet de déjouer les règlements européens.
Dans le même temps, ne l’oublions pas, les pays qui les avaient massivement accueillis, comme le Pakistan ou l’Iran, ont commencé à mettre en œuvre des politiques migratoires plus restrictives et à entamer de nombreux refoulements. (...)